La démocratie a besoin de leadership 

 

Aujourd'hui, la Présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, s'est adressée à la conférence des Présidents des Parlement des pays membres du G7 à Berlin. Dans son discours, elle a insisté sur la nécessité de défendre la démocratie. "La démocratie exige des efforts, mérite du courage, a besoin de leadership."

© Union européenne | Roberta Metsola, Présidente du Parlement européen, à l’occasion d’une rencontre
avec les présidents des parlements du G7 et avec Rouslan Stefantchouk, président de la Verkhovna Rada ukrainienne

Hier, le monde entier a célébré la Journée internationale de la démocratie. 

L’année écoulée a pourtant été marquée par un affrontement forcé avec ceux qui entendent abattre un nouveau rideau de fer pour étouffer la démocratie dans l’oppression et la violence. Dans cet affrontement, c’est notre mode de vie même qui est menacé par ceux qui considèrent la démocratie comme une faiblesse. Par ceux qui voient les droits et les libertés comme un obstacle plutôt qu’un but vers lequel tendre. 

Je le répète, parce qu’on ne le dit pas assez: la démocratie est l’exact opposé de l’autocratie. Il faut que cela soit clair. La démocratie est imparfaite, mais elle est le meilleur système possible et la fondation sur laquelle bâtir tout le reste.

Le monde a changé le 24 février dernier, quand les tanks russes ont marché sur l’Ukraine indépendante. Le réveil a été rude pour nous qui pensions que nos démocraties et notre mode de vie allaient de soi, assoupis dans la certitude d’un acquis inaliénable. Le droit de voter pour qui nous voulons: un acquis. Bénéficier des fruits d’un journalisme indépendant: un acquis. Et une certitude: nous pouvons nous réunir, nous exprimer librement, ne pas être d’accord, suivre notre bonheur, marquer notre opposition, vivre et aimer comme bon nous semble, sans contrepartie. Nous vivons de manière ouverte et libre.

C’est cette liberté qui se trouve menacée depuis 205 jours maintenant, et elle ne pourra triompher que si nous la défendons, si nous expliquons ses avantages aux générations qui ne l’ont jamais vue remise en question, si nous enseignons aux jeunes générations les compétences dont ils auront besoin pour la consolider et la protéger. 

L’éducation sera la clé. Nous avons vu à quel point l’information est instrumentalisée dans cette guerre. La stratégie de désinformation russe a pris une ampleur qui n’a d’égale que sa nocivité. Nous sommes confrontés à une bataille en ligne toxique de grande envergure qui menace le fondement même de nos sociétés libres et de nos élections libres. Nous devons apprendre à connaître cette menace avant de pouvoir la combattre.

Notre histoire nous enseigne que la démocratie ne peut laisser aucune place à la complaisance.  Le monde a besoin d’un éclaireur aujourd’hui. Alors même que ce rôle est difficile à assumer. Alors que la lassitude s’installe face à cette guerre, que les prix ont augmenté. Alors qu’il est devenu difficile de se chauffer. Alors que l’essence est plus chère et que les pénuries alimentaires se multiplient. 

Voilà la réelle mise à l’épreuve de notre détermination, de nos systèmes, et je suis fière que ce groupe, notre partenariat démocratique mondial, soit resté fort et uni face à ce défi. 

Le fait que l’Ukraine et les Ukrainiens se tournent vers nous, démocraties parlementaires, pour chercher du soutien est un hommage à nos libertés démocratiques et à nos pays. Lorsque je parle de soutien, je ne pense pas seulement à l’aide concrète, mais aussi à l’aide apportée à une démocratie parlementaire multipartite depuis le monde entier de sorte non seulement qu’elle survive à cet assaut, mais aussi qu’elle prospère par la suite. 

Pour fonctionner correctement, chers amis, nos systèmes parlementaires doivent se soumettre au contrôle démocratique des élections, d’une société pluraliste, de médias libres et reposer sur des institutions et une société civile fortes. Le contrôle exercé par les électeurs est donc essentiel. Trop de jeunes voient la politique sous un angle différent de celui qui était le nôtre quand nous avions leur âge.  J’ai baigné dans la politique européenne en grandissant. J’ai milité pour que mon pays adhère à l’Union européenne il y a vingt ans. À l’époque, déjà, je pensais mener une bataille perdue d’avance avec des collègues pour qui les élections n’avaient pas d’importance. Ils pensaient que voter ne changerait rien, que les responsables politiques étaient tous les mêmes et que cela était donc inutile. Nous avons cependant appris que cela est faux: le contrôle des électeurs, des institutions et une société civile fortes, l’engagement, l’intérêt et la participation sont extrêmement importants. La prochaine échéance 
démocratique pour le Parlement européen nous mène à 2024. Il sera difficile de convaincre les électeurs de voter, de lutter contre l’apathie et le cynisme.

Dès lors que l’autocratie prend son essor et que la rhétorique simpliste devient vérité sur les réseaux sociaux, que les responsables politiques populistes et nationalistes sèment le doute au quotidien, il est de notre responsabilité d’éduquer, de rassurer et d’écouter notre électorat. 

La démocratie demande des efforts; elle mérite du courage; elle exige du leadership. 

C’est à nous de convaincre les électeurs des avantages – assortis de responsabilités – liés au civisme et à la démocratie. Non pas en nous montrant condescendants ou pontifiants, mais en faisant preuve d’une volonté de prouver aux Européens le bien-fondé du programme de la «démocratie parlementaire» que nous tenions, à tort, pour évident depuis bien trop longtemps. 

Cela signifie aussi que nous devons être honnêtes quant aux défaillances de nos systèmes. La démocratie n’est pas sans problèmes, mais elle est, en fin de compte, la seule voie possible vers le progrès. 

Il nous faut encore démontrer les avantages d’une société démocratique ainsi que la nécessité d’un équilibre des pouvoirs, de la responsabilité politique et du pluralisme à un public de plus en plus méfiant. Au sein de l’Union européenne même, les règles fondamentales régressent, et il est désormais bien plus difficile d’entrer dans l’Union que d’y rester. Dans le même temps, nos électeurs sont constamment abreuvés de fils d’actualité et d’images télévisées qui leur apportent le confort fallacieux de réponses faciles à des questions difficiles. 

Comme le dit le rabbin Jonathan Sacks, «une société libre est une réussite morale. Ces cinquante dernières années en Occident, cette vérité a été oubliée, ignorée ou niée. C’est pour cela que la démocratie libérale est aujourd’hui en danger». Nous savons aussi combien il est difficile de battre en brèche le scepticisme de plus en plus prononcé face à la démocratie. Mais si nous voulons que la démocratie triomphe, il faut revenir aux fondamentaux. 

Il faut expliquer aux citoyens que nos structures politiques ne sont pas une fin en soi, mais plutôt un moyen de mener une vie meilleure et plus juste. 

Et il faut expliquer, encore et encore, avec force, que la démocratie peut aider le peuple, et comment. Sinon, nous laissons des zones d’ombre dans lesquels s’engouffre le récit toxique antidémocratique.

Améliorons l’éducation civique dans nos écoles et dispensons-la dès le plus jeune âge. Tissons des partenariats plus étroits avec les conseils d’éducation et les autorités de l’enseignement supérieur, avec la société civile, et avec les organisations de jeunesse et d’étudiants. C’est un grand défi pour nous, en Europe, et pour de nombreux États membres. Nous devons parler aux jeunes femmes, et aux filles en particulier. Trop peu de femmes encore entrent en politique et cela est de plus en plus intimidant pour les jeunes femmes de le faire aujourd’hui.

Les élèves des écoles nous reprochent de ne pas en apprendre assez sur les élections en classe. Je pense que nous pouvons effectivement faire mieux. Nous pouvons intéresser les jeunes à la politique, concrètement, dans tant de milieux différents. 

Ici, sur le sol européen qui a été témoin des plus atroces crimes contre l’humanité, les leçons de la démocratie doivent être enseignées, et apprises.

Je vous remercie.