L'Europe en vaut la peine - Roberta Metsola s'adresse aux Danois à la Bibliothèque royale 

 

La Présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a été accueillie à Copenhague par la Première ministre danoise, Mette Frederiksen. Ensemble, elles ont pris la parole lors d'un événement organisé à la Bibliothèque royale pour évoquer les prochaines étapes du projet européen. Dans son discours, la Présidente Metsola a expliqué pourquoi l'Europe en vaut la peine et a appelé les personnes présentes à aller voter.

Madame la Première ministre,
Chère Mette,
Chers amis,

C’est un plaisir pour moi d’être ici au Danemark, une fois de plus. J’y suis venue pour la première fois il y a vingt ans, pour suivre une réunion du Conseil européen. Ma première impression? Une extraordinaire douceur de vivre, avec des habitants formidables, une nourriture excellente, une bière délicieuse, peut-être la meilleure du monde. Une impression que le festival de Roskilde, où je me suis rendue, et la cathédrale, que j’ai visitée, n’ont fait que confirmer.

Je tenais à commencer mon discours par ces mots, car ce sont toutes ces choses qui font la beauté de l’Europe.

Je reviens aujourd’hui au Danemark, porteuse d’un message que j’ai reçu il y a vingt ans: l’Europe en vaut la peine. Elle vaut la peine qu’on y consacre son temps, son énergie, sa confiance, malgré l’insatisfaction qu’elle peut parfois susciter, malgré ce qu’elle coûte. Elle en vaut la peine parce qu’elle apporte un mieux vivre à ses habitants parce que notre projet est sans équivalent dans le monde, bâti sur une idée toute simple: l’espoir.

Cette vérité, nous l’oublions parfois. Face aux crises qui se succèdent: la crise économique, la crise migratoire, la crise sociale, la crise sanitaire, la crise de l’énergie et celle de la sécurité, nous sous sentons enlisés. C’est vrai, nous avons tendance à échafauder d’étranges dispositifs, que nous affublons d’impénétrables acronymes qui rebutent les citoyens. Il est également vrai que, parfois, l’Europe paraît éloignée des réalités de notre quotidien, je peux le comprendre, et c’est pourquoi je suis là aujourd’hui. Pour écouter, expliquer, répondre, et pour vous rappeler que le cœur de l’Europe bat aussi fort dans le Jutland ou le Seeland qu’à Bruxelles ou à Strasbourg.

Lorsqu’il y a quelques jours, une adolescente a été enlevée, nous avons vécu ces 27 heures de traque à vos côtés. Comme vous, nous sommes déterminés à ce que pas une ville, pas un village, pas un recoin de l’Europe ne soit un lieu d’insécurité pour les jeunes filles de 13 ans. Et partout, les femmes doivent pouvoir vivre sans crainte.

Si l’Europe est ce cadre où nous partageons les périodes fastes comme les moments difficiles, elle n’a toutefois pas vocation à nous rendre tous pareils. Nous ne sommes pas tous les mêmes. Nous n’avons pas les mêmes traditions, les mêmes langues, les mêmes cultures. Et la beauté de notre projet, c’est que notre force réside dans nos différences. Ces différences dans lesquelles les autocrates voient à tort des faiblesses. Nous leur avons apporté un cinglant démenti par la riposte que nous avons opposée à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et nous continuerons à leur démontrer leur erreur.

Pour construire l’Europe, il a fallu un immense courage politique. Des peuples qui, de tout temps, s’étaient combattus ont su s’asseoir autour d’une même table et affirmer que la coopération valait mieux qu’un conflit. Ils avaient compris qu’ensemble seulement, nous pouvions être prospères et vivre en sécurité. Ils étaient animés de la conviction que la realpolitik et l’espoir pouvaient aller de pair. Et cette conviction, ils l’ont traduite en actes. Le Danemark l’a compris il y a 50 ans, en 1973, alors que tant d’États membres étaient accablés sous le poids du rideau de fer, et pendant un demi-siècle, vous avez été aux avant-postes du mouvement européen. Il a fallu prendre des décisions difficiles pour mener ce projet à bonne fin et passer des paroles aux actes, pour transformer nos vies, et changer le cours de l’histoire. L’Europe y est parvenue. Notre projet, avec ses imperfections, y a réussi.

Ces cinquante dernières années, nous avons vu l’Europe et les Européens se métamorphoser. Tout a changé. Tout sauf un espoir inébranlable qui nous permettra d’avancer encore lors des cinquante prochaines années. C’est ce courage politique que nous devons retrouver aujourd’hui. Nous devons renouer avec cette espérance et avec le sentiment que nous faisons partie d’un collectif.

L’influence qu’exerce le Danemark sur le développement de l’Europe est un fait dont on ne parle pas assez. Vous avez répondu présent tout du long et, je n’en doute pas, vous continuerez à jouer ce rôle d’animateur.

Mais, à présent, que doit faire l’Europe? Elle doit mener à bien les réformes que les citoyens espèrent. Et réformer sa législation pour mener de front économie et environnement, qui sont indissociables. L’une ne doit pas être privilégiée au détriment de l’autre. À cet égard, l’expérience danoise doit nous inspirer et c’est ce qui s’est passé, je crois, la semaine dernière lorsque le Parlement européen a adopté l’un des actes législatifs les plus importants de notre législature. Notre nouvelle législation sur le climat n’a pas simplement vocation à assainir l’espace de vie qui nous est commun, elle doit aussi nous permettre de le rendre plus sûr, plus fort et plus prospère. Les dispositions que nous avons adoptées sont à la pointe du progrès et ont une portée universelle. Elles définiront le cadre normatif mondial et prouveront que la sauvegarde de notre planète peut aller de pair avec la croissance de nos économies. La transition écologique, c’est aussi de nouveaux emplois. L’Europe en vaut la peine.

Il faut réformer notre façon de penser les nouvelles réalités qui se mettent en place autour de nous. L’intelligence artificielle et Chat GPT sont la manifestation d’une nouvelle révolution numérique qui est en marche. Ce qui compte dans le changement, c’est ce que nous en faisons: allons-nous saisir la chance qu’il représente ou aller nous céder à la peur qu’il inspire? L’Europe, à mes yeux, c’est un foisonnement des possibles. Notre législation doit être tournée vers l’avenir, nous devons y veiller. Et c’est là que le Parlement européen entre en jeu. Notre institution – les députés que vous élisez – a porté de nouvelles dispositions sur les services numériques qui ont permis de protéger nos données et de libérer notre potentiel technologique. Grâce aux décisions difficiles qui ont été prises après d’âpres négociations, nous sommes désormais mieux à même d’affronter la nouvelle réalité que crée l’intelligence artificielle. Nous sommes mieux armés contre les cyberattaques et les logiciels que certains emploient pour retourner nos systèmes contre nous. Mieux armés pour riposter à la désinformation qui fait vaciller les démocraties que, pendant longtemps, nous avons cru inébranlables. L’Europe en vaut la peine.

Il nous faut également réformer les modalités qui règlent la marche en avant de l’Europe: l’Ukraine, la Moldavie et la Bosnie frappent à notre porte, désireuses de commencer leurs négociations d’adhésion. Si, naturellement, chaque pays doit avancer à son rythme et sur sa propre trajectoire, l’Europe est, pour tous, porteuse de changements extrêmement profonds. Et les jeunes Moldaves qui sont aux prises avec les plus grandes difficultés, ont foi en l’Europe, tout comme les jeunes Ukrainiens qui, dans les tranchées, luttent contre l’agresseur impérialiste. Nous devons les aider. Dans la défense de la démocratie, le Danemark joue également un rôle moteur. Vous avez compris qu’il n’y va pas seulement de la sauvegarde de nos valeurs communes. Ce qui est en jeu c’est aussi notre sécurité, nos démocraties et notre défense. Cette heure cruciale, nous ne l’avons pas souhaitée, mais nous devons l’affronter. Cela passe par des sanctions, mais aussi par l’apport d’une aide militaire, humanitaire, politique et économique à l’Ukraine. Il ne s’agit pas ici de faire la charité. Il s’agit de comprendre que l’Europe a posé ses limites et que, si nous tolérons que les chars russes les fassent voler en éclats, alors tout ce que nous tenions pour acquis sera remis en question.

Réformer, cela doit être aussi repenser notre culture politique qui a amené tant de nos concitoyens à délaisser la politique. Il nous faut favoriser la régénération du centre en politique sur le continent européen, pour pouvoir répondre aux attentes des citoyens et éviter de les repousser vers les marges du paysage politique ou vers les extrêmes.
Nous avons les moyens de déconstruire les discours mensongers des populistes et les réponses faciles qu’ils prétendent apporter aux questions difficiles.

Rappelez-vous, il n’y a pas si longtemps, après la crise économique, nous avons vu un nombre croissant de nos concitoyens nous tourner le dos – nous devons tout faire pour éviter que cela ne se reproduise, alors que le monde, au sortir de la pandémie, est devenu plus incertain et plus dangereux.

Tâchons donc de ne pas méconnaître les dures leçons apprises dans la conduite de nos politiques européennes en matière économique et budgétaire. Si une certaine souplesse peut s’avérer nécessaire, nous ne saurions tolérer en la matière un état d’anarchie qui conduirait immanquablement à de nouvelles crises financières. Il s’agit de défendre l’idée d’une «Europe meilleure», qui doit aller de pair avec l’impératif de faire «plus d’Europe». Nos finances ne sont pas illimitées, et nos dettes, il faudra bien les rembourser: nous n’y parviendrons qu’en donnant à nos économies les moyens de la croissance. Nous avons certes les leviers nécessaires pour lutter contre l’inflation et la diminution des revenus disponibles, mais il nous faut trouver le courage politique de les mettre en œuvre et ainsi d’éviter une course au protectionnisme et un nivellement par le bas.

L’année prochaine, nous solliciterons une nouvelle fois vos suffrages pour déterminer le cap que doit suivre l’Europe. Nous nous trouvons devant une alternative: poursuivre notre marche en avant ou marquer le pas. Il vous faudra choisir vos députés au Parlement européen, c’est votre droit sacré et votre devoir. Les députés que vous avez élus méritent votre fierté à bien des égards.

L’Europe n’est pas parfaite ni idyllique, mais elle en vaut la peine. Et si ce n’est pas vous qui choisissez vos représentants, d’autres s’en chargeront. L’Europe peut prendre une tournure bien différente de celle que vous souhaitez. Ensemble, construisons-la!