L'Europe ne sera jamais entière tant que Chypre restera divisée 

 

Au cours de sa visite à Chypre, la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a été invitée à prendre la parole lors d'une réunion spéciale de la plénière de la Chambre des représentants. Dans son discours, la Présidente Metsola a déclaré qu'au sein du Parlement européen, Chypre trouvera un véritable ami et un allié indéfectible, et qu'une voie à suivre, bien que difficile, est possible.

© Roberta Metsola, Présidente du Parlement européen, s’exprime lors d’une plénière extraordinaire de la Chambre des représentants de Chypre

Chers amis, 

C’est un honneur pour moi d’être reçue aujourd’hui par l’assemblée démocratique de la belle île de Chypre. C’est un honneur pour moi d’être entourée d’amis et d’Européens qui comprennent le pouvoir que l’Europe a de transformer et de guérir. 

Chypre a et aura toujours une place particulière dans mon cœur. Non seulement parce que je suis, comme vous, Madame la Présidente, et comme tant d’autres ici, une fière Méditerranéenne, mais également parce que nous nous comprenons mutuellement. Nous savons les possibilités qu’offre l’Europe. Nous savons que nous avons besoin d’union. Et nous savons que nous sommes meilleurs, plus forts, mieux protégés, quand nous agissons ensemble. 

L’Europe est Chypre, et Chypre est l’Europe. Ici, dans chaque ville et dans chaque village, bat le cœur de l’Europe.

L’histoire de Chypre est une histoire de résilience, qui nous montre que l’on peut déjouer tous les pronostics et sortir renforcé d’une situation qui semblait désespérée, qui nous montre une île, placée par la nature au milieu d’une mer capricieuse et au carrefour des civilisations, surmonter les défis de sa situation pour devenir un bastion des valeurs européennes, de la démocratie, du dynamisme et de la réalisation des possibles. Les sacrifices consentis par votre peuple disent que Chypre, malgré l’hiver difficile qui s’annonce pour nous tous, a pris durablement le chemin de la croissance, de la prospérité et du développement durable. Ce fut difficile, mais vous l’avez fait.    

L’histoire de votre peuple nous inspire, mais l’avenir de votre nation insulaire nous inspire davantage encore. S’il est une chose que les Chypriotes peuvent apprendre au reste du monde, c’est que l’avenir est plein de possibles. 

Dans mon premier discours en tant que Présidente du Parlement européen, en janvier, je parlais de votre pays, de votre lutte et de la capacité que l’Europe a de vous aider. Je tenais à le faire. Je voulais faire savoir sans délai que Chypre n’est pas une portion oubliée de l’Union européenne, que le Parlement européen sera toujours pour vous un ami vrai et un allié constant et que s’il est difficile d’aller de l’avant, cela n’a rien d’impossible. 

L’Union européenne est née de l’histoire douloureuse de notre continent. Des murs qui semblaient indestructibles ont été mis à bas, des ennemis mortels sont devenus des partenaires, là où la guerre faisait rage, où régnait la souffrance et où le sang coulait, nous nous réunissons aujourd’hui dans un esprit de coopération. 

L’Europe a le pouvoir de guérir et ici, dans la dernière capitale encore divisée de notre continent, l’Europe doit puiser dans son expérience pour réunir les uns et les autres, pour permettre à Chypre de n’être plus qu’une, sous les auspices du plan des Nations unies pour la paix, et conformément à nos valeurs européennes communes.  

Je serai claire: pour aller de l’avant, la seule solution envisageable est celle d’un État souverain et européen unique, une fédération bicommunautaire et bizonale, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. 

Je suis ici pour dire que l’Europe n’abandonnera ni Chypre ni notre commune ambition de voir cette grande île réunifiée. Pour dire que nous ne faisons qu’un. Pour dire que vos difficultés sont les nôtres et, je le répète, que l’intégrité de l’Europe ne sera jamais complète tant que Chypre demeurera divisée.

Car cette division forcée d’un État membre de l’Union n’est pas une question chypriote mais une question européenne et nous devons y répondre d’une manière européenne.

Et, mes amis, permettez-moi de dire que les tentatives d’intimidation qui visent à perturber le statu quo, comme à Famagouste, grèvent lourdement les efforts consentis pour restaurer la confiance et trouver des solutions viables. Nous devons bâtir la confiance.

Un résultat gagnant-gagnant, porteur de confiance entre les communautés, est possible et nécessaire. Telle est ma conviction. Et toutes les ressources du Parlement européen sont à votre disposition pour avancer dans la bonne direction, vers la paix et la réunification. 

Mesdames et Messieurs, 

Je parle ici de la mission centrale du Parlement européen et de la philosophie qui a guidé notre réaction à l’invasion de l’Ukraine. 

Il nous faut tirer les douloureuses leçons de l’Histoire et continuer à soutenir l’Ukraine – politiquement, par une aide militaire, par un soutien logistique et par l’espoir et la solidarité que seule l’Europe peut donner. 

Le jour où le statut de pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne a été accordé à l’Ukraine, l’Europe a choisi de donner de l’espoir à un peuple attaqué. Nous savons ce que l’adhésion signifie pour les citoyens. Nous nous souvenons de ce jour de 2004 où nos pays ont enfin rejoint l’Union européenne, et nous nous souvenons des conséquences que cet événement a eues sur nos sociétés. 

Il est temps d’avancer avec l’Ukraine, la Moldavie, les Balkans occidentaux, la Géorgie. Il est temps de faire avancer notre projet européen. 

On me demande souvent: l’heure est-elle venue? Quand viendra-t-elle? Est-ce possible? La réponse est que l’Union européenne ne peut stagner. Nous devons continuer à évoluer et c’est pourquoi le Parlement européen souhaite une convention sur l’avenir de l’Europe. Nous devons nous assurer de disposer des outils pour répondre aux difficultés des citoyens et pour affronter l’avenir ensemble. Nous devons être capables de nous adapter. De changer.

Chers amis, 

Aujourd’hui, les citoyens sont extrêmement inquiets. L’inflation fait s’effondrer le pouvoir d’achat, les prix de l’électricité s’envolent, la sécurité alimentaire est moins assurée qu’elle ne l’était voilà six mois. Certaines choses que nous tenions pour acquises vont devenir moins évidentes: prendre nos voitures, éclairer nos maisons et faire tourner nos usines, mettre en marche nos climatiseurs et nos chauffages. 

Et lorsque les citoyens se tournent vers l’Europe pour obtenir des réponses, pour qu’elle les aide à faire face à la situation au quotidien, nous devons être en mesure de leur proposer des solutions ayant des conséquences tangibles sur leurs vies. Voilà ce que les citoyens attendent de nous et voilà ce que nous devons être en mesure de leur apporter. Il est des décisions que nous pouvons prendre maintenant et qui ne peuvent tout simplement plus attendre. 

Nous avons besoin de «plus d’Europe» pour surmonter la crise énergétique. Nous pouvons agir pour limiter les conséquences: plafonnement des factures, amélioration de nos systèmes de tarification ou découplage du prix de l’électricité de celui du gaz, il est des mesures que nous pouvons prendre maintenant, même à titre temporaire, pour alléger les pressions immédiates. Ces mesures varient d’un pays à l’autre et en fonction des réalités auxquelles chaque pays est confronté, y compris le vôtre; elles varient suivant les pressions immédiates qui se font sentir et doivent être allégées pendant que nous mettons en place des stratégies de long terme. Avec les ressources gazières présentes dans ses eaux, Chypre jouera un grand rôle, un rôle stratégique, dans la recherche d’une solution pour l’Europe en matière énergétique. 

Nous avons besoin de «plus d’Europe» pour relever les défis concrets et communs qui se posent à nous en matière de sécurité: il nous faut améliorer notre infrastructure de défense commune, que ce soit pour faire face à la détermination russe à faire tomber sur l’Europe un nouveau rideau de fer ou pour apaiser les tensions qui s’accroissent en Méditerranée orientale. 

Nous avons besoin de «plus d’Europe» pour trouver une solution globale afin de progresser sur la question migratoire, qui soit juste et humaine vis-à-vis de ceux qui demandent protection, ferme vis-à-vis de ceux qui ne peuvent pas y prétendre et sévère vis-à-vis des trafiquants qui exploitent certains des plus vulnérables de notre planète. Aucun État ne peut être laissé seul, et Chypre ne sera pas laissée seule face aux flux d’arrivants. 

Nous avons besoin de «plus d’Europe» pour combattre le changement climatique et prendre les décisions difficiles qui sont nécessaires pour laisser à la prochaine génération une planète viable. Cette question est particulièrement importante dans notre bassin méditerranéen, où la hausse des températures excède de 20 % la moyenne mondiale. 

Nous avons besoin de «plus d’Europe» pour que la démocratie, l’état de droit, l’égalité et la liberté cessent d’être de vaines invocations de campagne électorale ou des concepts théoriques. Cela, je l’ai trop vu, au niveau européen comme dans de nombreux pays.

Nous avons besoin de «plus d’Europe» pour créer une véritable union de la santé, qui nous permette de faire face aux pandémies et de partager vaccins et respirateurs. 

Nous avons besoin de «plus d’Europe» pour créer des emplois, garantir les droits et préserver la dignité que nous avons tous en partage.

Nous avons besoin de «plus d’Europe», Madame la Présidente, pour que des femmes comme vous et moi deviennent la règle et ne soient plus l’exception. 

Mais, mes amis, «plus d’Europe» suppose de défendre l’Europe. De résister à la tentation de faire de «Bruxelles» le bouc émissaire de nos déboires et de nos frustrations. De résister au cynisme facile, au populisme dangereux et à la désinformation qui inondent nos canaux d’information. Il nous faut expliquer les avantages de l’Europe, et Chypre doit être au centre de cette discussion.

Enfin, comme vous ne le savez que trop bien, «plus d’Europe» nécessite également de comprendre qu’une approche uniforme est bien souvent incompatible avec l’insularité, qui est la caractéristique de certains États membres. 

C’est dans cette compréhension que réside le secret de «plus d’Europe». 

Mes amis, je ne suis pas venue ici seulement pour vous décrire l’aide que peut apporter le Parlement européen. Je suis venue ici passer plusieurs jours à écouter, à apprendre, à comprendre. Je veux repartir en emportant avec moi une fraction de Chypre qui m’éclairera dans la conduite des discussions à Bruxelles et à Strasbourg.

Car une chose est sûre: dans notre Europe, la géographie compte bien moins que les idées. La largeur de vues l’emportera toujours sur la superficie d’un pays. Voilà ce qui, en fin de compte, rend l’Europe unique. 

L’avenir de l’Europe ne pourra être écrit que par nous, en coopération. J’appelle Chypre à nous aider à décider de cet avenir. Ensemble. 

Je vous remercie.