Metsola : L'Europe est prête pour la prochaine génération 

 

La Présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a prononcé le discours d'ouverture de l'État de l'Union 2022 à l'Institut universitaire européen de Florence. Dans son discours intitulé "L'Europe est-elle prête pour la prochaine génération ?", elle a encouragé les citoyens et les dirigeants européens à croire, à être confiants et à utiliser ce moment difficile comme une opportunité de changement.

Chers invités,
Cher Monsieur le Président Dehousse,
Cher Monsieur le Maire,
Chers Européens,

Je tiens à remercier l’Institut universitaire européen, qui m’accueille aujourd’hui en ce lieu magnifique. L’Institut universitaire européen est un véritable bien public. Il fait partie de notre patrimoine européen et contribue à diffuser nos valeurs européennes au sein du monde universitaire. Il se veut un trait d’union entre les universitaires et les décideurs politiques.

Avant toute chose, j’aimerais rendre hommage à David Sassoli, lui qui était amoureux de la ville de Florence.
David s’est battu pour le Parlement européen, pour nous tous, pour l’Europe.
Il croyait en l’Europe et en sa capacité d'inventer une nouvelle voie dans ce monde.

Et c’est cette idée qui est au cœur de la réflexion que nous devons mener aujourd’hui. 

Mais avant de nous interroger sur ce que devrait être «l’Europe», je pense que nous devrions mieux comprendre ce qu’elle est en réalité et, surtout, ce que les citoyens attendent d’elle. 

Dans mon premier discours de Présidente du Parlement européen, je me suis présentée comme faisant partie de la génération qui ne fait pas de distinction entre une vieille et une nouvelle Europe. Nous sommes les premiers de la génération Erasmus, et les derniers de la génération Wałęsa, Kohl et Havel.

Ce que j’ai voulu dire, c’est que j’appartiens à la génération des Européens. Il y a 18 ans, le 1er mai, à minuit, j’étais à La Valette, dans le Grand Harbour, où tout le pays semblait s’être réuni. Nous regardions la mer en comptant les minutes et les secondes. Malte allait devenir membre de l’Union européenne en même temps que neuf autres pays.

Je me souviens encore d’avoir éprouvé un sentiment d’espoir et de foi en l’avenir. Je pensais à toutes ces possibilités qui s’offraient à nous. Il y avait une impression réconfortante, comme si tout devenait possible pour notre peuple. Nous éprouvions un mélange de soulagement et de joie, et ces sentiments étaient partagés par des millions de personnes dans toute l’Europe.

Avec la guerre en Europe, aujourd’hui, il est temps que notre projet européen retrouve cet esprit, cet élan d’enthousiasme, cette orientation claire.

Les citoyens d’Ukraine, de Moldavie et de Géorgie, comme ceux des Balkans occidentaux avant eux, se tournent aujourd’hui vers l’Europe avec le même besoin d’appartenance et d’espoir.

Et je veux que ces gens puissent y croire comme nous l’avons fait. Pour cela, nous devons comprendre que nous ne sommes pas seulement un bloc économique, et que l’Europe ne se résume pas à la libre circulation et à la suppression des frais d’itinérance. Pour ma génération, l’Europe — pardonnez-moi le cliché —, c’est un rêve commun. Ce sont des valeurs communes, c’est un avenir commun, un rassemblement.

Pour nous, l’Europe, c’est l’avenir. Cela a toujours été l’avenir. 

Bien sûr, on ne peut pas nier que, ces dernières années, la polarisation de nos sociétés s’est accentuée.  Il est vrai que trop de personnes encore se sentent perdues, abandonnées, laissées sur le bord du chemin. Mais d’un autre côté, beaucoup attendent maintenant de nous, de l’Europe et de ses institutions, que nous jouions un rôle de premier plan. Et nous devons réagir et nous montrer à la hauteur de ces attentes. Nous devons répondre vigoureusement à ce discours antieuropéen qui se répand avec tant de facilité et de rapidité. Il nous faut lutter contre les fausses informations fabriquées dans des usines à trolls russes et propagées par des bots. 

L’Europe est axée sur la défense du multilatéralisme, et l’idée que nous ne pouvons affronter l’avenir qu’ensemble. 

Mesdames et Messieurs, 

Faire preuve de leadership requiert une capacité à se remettre en question. Et nous devons bien admettre qu’il existe un fossé entre le projet tel que nous l’avons envisagé, ce que les citoyens attendent de l’Europe et ce que celle-ci leur offre à l’heure actuelle. 

Les événements de ces derniers mois, avec l’invasion brutale, illégale et cruelle de l’Ukraine par la Russie, ont accru la nécessité pour l’Europe de mettre en place les instruments et les procédures nécessaires pour mener à bien les missions qui sont les siennes dans ce monde nouveau et incertain. 

Le 24 février a marqué un tournant, le monde a changé. Nous devons comprendre que le poids de l’ordre démocratique mondial repose aujourd’hui plus que jamais sur les épaules de l’Europe. Et nous devons être capables de porter ce poids. 

Le moment est venu de montrer que nous sommes à la hauteur du défi. Cette occasion ne se présente qu’une fois par génération. 

C’est le moment de comprendre que l’Europe s’étend jusque dans les rues de Boutcha, dans les tunnels de Marioupol, dans les caves d’Irpine et sur les côtes de l’île des Serpents. 

Des personnes brutalisées nous demandent du soutien et de l’espoir, et leur survie dépend de nous. Ces gens ont compris que leur salut ne peut venir que de l’Europe. 

Quiconque a vécu sous la dictature, comme l’ont connue tant de nations en Europe au cours du siècle dernier, est bien placé pour comprendre qu’il n’y a pas d’autre voie.  

L’Europe n’est peut-être pas parfaite — nous sommes loin d’être parfaits — mais nous représentons un bastion de la démocratie libérale, des libertés individuelles, de la liberté de pensée, de la sûreté et de la sécurité. En Europe, chacun est libre d’être qui il veut. Cette liberté, cela fait trop longtemps que nous la considérons comme acquise. 

En Europe, nous célébrons les différences. Nous savons qu’elles nous permettent d’évoluer et nous rendent plus forts, qu’elles nous rendent uniques, qu’elles font de nous, en somme, des Européens.

La grande erreur de Poutine a été de croire que nos différences étaient un point faible; que notre défense des droits fondamentaux était un signe de faiblesse. Comme il se trompe! Dans des démocraties comme la nôtre, ce sont, au contraire, des points forts. Ces différences constituent des jalons qui nous permettent de franchir de nouvelles étapes. Elles sont la source de notre légitimité et nous servent de boussole. 

C’est pour cela que nous avons accéléré nos efforts en vue de mettre en place une nouvelle Union de la sécurité et de la défense. 

C’est pour cela aussi que nous devons nous libérer de nos dépendances vis-à-vis du Kremlin, et nous y arriverons! 

Nous allons cesser d’importer du pétrole russe et tout faire pour nous passer du gaz en provenance de Russie. 

C’est pour cela que nous continuerons à appliquer des sanctions et à venir en aide à l’Ukraine, que nous allons aider à reconstruire l’Ukraine, que nous accueillerons et aiderons tous ceux qui fuient les bombes, les missiles et les atrocités commises par Poutine. 

Et c’est pour cela que l’Ukraine vaincra. Enfin, c’est pour cela que l’Europe doit se préparer pour la prochaine génération. 

Il est évident que nos populations subiront de plein fouet la hausse des prix et du coût de la vie, et que les dirigeants européens doivent prendre des mesures. Dans l’économie mondialisée actuelle, les entreprises européennes vont devoir faire face aux conséquences de la guerre. L’Union européenne doit continuer à encourager et à soutenir les entreprises qui cessent leurs activités en Russie.

Une fois encore, l’honnêteté s’impose: nous pourrons atténuer les conséquences dans la mesure du possible, mais le choix de notre voie européenne a un coût. Bien sûr, le jeu en vaut la chandelle. 

Face à cette guerre, l’Europe a fait preuve d’une détermination, d’une solidarité et d’une unité sans précédent, et j’en suis très fière. C’est sur cette voie que nous devons poursuivre. Nous resterons farouchement opposés à l’autocratie et continuerons à défendre vigoureusement l’Ukraine et nos valeurs communes, que sont la démocratie, la dignité, la justice, l’égalité et l’état de droit. Nous devons nous rapprocher, mais aussi nous ouvrir davantage. 

Après la Seconde Guerre mondiale, des sceptiques ont tourné en ridicule la déclaration prononcée par Robert Schuman à l’occasion de la Journée de l’Europe en 1950, et ont qualifié d’utopie son aspiration à la paix et à la prospérité. Pourtant, c’est cette foi dans un projet d’Europe, qui semblait à l’époque irréalisable, qui a fait que nous sommes réunis ici, aujourd’hui, dans ce Palazzio Vecchio, emblème de la civilisation européenne, pour discuter de nos réalisations et des prochaines étapes de notre avenir européen commun. 

Ce que nous allons léguer aux prochaines générations, ce ne seront pas seulement de magnifiques bâtiments, ce sont aussi des bases solides pour une nouvelle voie européenne. 

J’ai confiance en la prochaine génération. Je suis certain qu'elle contribuera à la lutte pour le climat, qu'elle récoltera les fruits de l’économie numérique et qu'elle changera sa manière de consommer. Toutefois, nous ne pouvons pas attendre d’elle qu’elle vienne à bout des crises que nous affrontons actuellement. 

Nous devons prendre nos responsabilités dès aujourd’hui. L’Europe doit se positionner en leader, et elle doit le faire dès maintenant. 

Ce leadership, nous en avons fait preuve en accueillant plus de 5 millions de personnes qui fuyaient l’Ukraine. On en a aussi vu des exemples ici, au sein même de l’Institut universitaire européen, où des personnes ont travaillé dur pour faciliter l’intégration de professeurs, d’universitaires et d’étudiants ukrainiens.

Lundi prochain, à l’occasion de la Journée de l’Europe, nous recevrons les conclusions de la conférence sur l’avenir de l’Europe, les résultats de cette consultation citoyenne paneuropéenne. En tant que dirigeants européens, notre rôle sera d’écouter et de prendre en compte les recommandations des citoyens qui souhaitent que nous changions de politique et que nous agissions pour la défense, la santé, le climat, la sécurité, .et dans bien d'autres domaines L’Europe a là une véritable chance à saisir et elle doit le faire sans tarder.  

Nous sortons d’une pandémie dévastatrice et, avec l’agression illégale et brutale de la Russie contre l’Ukraine, nous nous trouvons aujourd’hui à un tournant de l’histoire. 

Ensemble, les dirigeants européens doivent défendre la politique de l’espoir. Nous devons combattre le cynisme ambiant et lutter avec fermeté contre les agressions. Et tant que nous défendrons nos priorités, je suis convaincue que nous serons prêts pour la prochaine génération. 
 
Permettez-moi de terminer sur une note d’optimisme: La vérité, c’est que l’Union européenne est plus forte que jamais. Jamais elle n’a su avec autant de conviction quelle direction prendre. Jamais nous n’avons eu une telle détermination à faire face collectivement à la guerre sur notre continent, à l'urgence climatique, à notre transition numérique et à nos préoccupations énergétiques. 

Jamais nous n’avons ressenti un tel besoin de nous opposer ensemble aux menaces qui pèsent sur la paix et la prospérité. Jamais nous n’avons été plus déterminés à défendre les droits fondamentaux européens que sont la démocratie, la liberté, la solidarité et l’égalité. 

Nous connaissons les menaces auxquelles nous sommes confrontés et nous savons que nous devons les affronter. 

Ayons confiance en nous-mêmes. Ayons la foi. 
 
Je vous remercie.