La Présidente Metsola à l'Université Humboldt : la paix, la justice, la liberté et la dignité humaine nous distinguent en tant qu'Européens 

 

"Il faut redoubler d'efforts pour transformer les valeurs de paix, de justice, de liberté et de dignité humaine en avantages concrets pour nos peuples", a déclaré la Présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, lors d'un discours prononcé à l'Université Humboldt de Berlin, en Allemagne.

Bonjour à toutes et à tous.

Je tiens d’abord à vous remercier pour votre invitation.

J’avais préparé un discours pour cette occasion, que j’ai finalement réécrit, plusieurs fois, encore et encore. La situation géopolitique mondiale et le rôle qu’y joue l’Europe sont en effet bien plus complexes aujourd’hui qu’il y a ne serait-ce que deux semaines. 

Dans mon premier discours de Présidente du Parlement européen, j’ai promis, en citant Winston Churchill, que notre institution n’adopterait jamais une attitude de neutralité entre les pompiers et le feu. Trop souvent, c’est vrai, il semble que de nouveaux feux éclatent et menacent le fruit de nos efforts vers la stabilité mondiale. 

Je veux que l’Europe continue à se battre contre ces feux. Je veux que l’Europe dispose des outils dont nous avons besoin pour remplir ce rôle et ainsi contribuer à rapprocher un peu plus le monde de ce qu’il devrait être. Je sais que l’Europe peut être la réponse. Mais je sais aussi que nous devons faire plus pour vous convaincre, vous qui appartenez à une génération plus jeune et plus critique, de la véritable valeur de l’Europe, qui peut façonner non seulement nos vies, mais celles des générations à venir.

Je trouve qu’il est utile de parler franchement. Alors permettez-moi d’être directe.
Nous sommes à un moment charnière. Il s’agit de décider de la voie que nous voulons suivre. Il n’y a pas de solutions faciles. Souvent, nous avons à choisir entre le mal et le pire, mais ces décisions, nous devons les prendre et nous continuerons de le faire. C’est dans ces moments qu’il faut savoir rester maître de soi. Même lorsqu’autour de vous nul n’est resté le sien et que chacun vous accuse, même lorsqu’il vous faut voir la vérité que vous avez proclamée déformée par des escrocs. C’est la responsabilité qui accompagne l’élection à tout mandat public. Et elle nous incombe à tous. 

Au-dessus de nos têtes plane aujourd’hui l’ombre des attaques terroristes barbares perpétrées par le Hamas contre Israël, de la guerre d’invasion menée par la Russie en Ukraine, de la situation en Arménie et en Azerbaïdjan qui inquiète toute la région, de la crise humanitaire à Gaza, du jeu dangereux de l’Iran, qui risque d’enflammer tout le Moyen-Orient en tentant d’imposer une théocratie impitoyable aux jeunes Iraniennes qui se soulèvent courageusement, et de l’instabilité qui secoue le Moyen-Orient.

Et cela sans parler de l’essor de la Chine ou de l’Inde, qui rejoignent les rangs des superpuissances, de l’Afrique, dont nous discutons trop souvent sans la convier à notre table, de l’Amérique latine, qui joue aujourd’hui un rôle essentiel, ou du partenariat transatlantique, historique, indéfectible, mais auquel il nous faut donner un nouvel élan. 

Autant de sujets à prendre en compte du seul point de vue des affaires étrangères. Mais nous faisons également face à des défis domestiques majeurs: de plus en plus de citoyens peinent à payer leurs factures à la fin du mois; nos démocraties libérales sont menacées; nous devons créer de nouveaux emplois, lutter contre le dérèglement climatique et stimuler une croissance économique durable; nous devons trouver comment faire progresser nos sociétés, comment résoudre les problèmes sociaux intergénérationnels, et comment garantir l’égalité des chances. 

C’est de toutes ces questions que l’Europe doit se saisir. Elle a su le faire par le passé, et l’heure est venue de recommencer.

J’aimerais m’attarder quelques instants sur l’attaque qu’a subie Israël et sur la situation à Gaza et dans l’ensemble de la région.

La réalité sur le terrain est horrible, tragique et désespérée. Je l’ai constaté moi-même il y a une semaine en Israël,  en me rendant sur les lieux des atrocités et en rencontrant des survivants endeuillés. J’ai alors exprimé la solidarité de l’Europe, appelé à la libération des otages et réaffirmé notre condamnation du terrorisme. J’ai également souligné l’importance de la réaction d’Israël et de la manière dont le Hamas sera stoppé, ainsi que la nécessité de travailler ensemble pour atténuer les conséquences humanitaires de cette crise sur la population innocente de Gaza. Il est tout à fait légitime de se tenir aux côtés d’une nation qui vient de subir les pires attaques sur sa population civile depuis l’Holocauste. Je suis fière que nous l’ayons fait. 

Trop de communautés juives en Europe se sentent perdues, effrayées, menacées. Des synagogues sont prises pour cibles. Les mères ont peur d’envoyer leurs enfants à l’école. Ce n’est pas de cette Europe que nous voulons. 

L’Europe s’oppose à la haine. Nous nous opposons au terrorisme. Car le terrorisme doit être condamné. Point final. Rien ne pourra jamais justifier ni excuser que des bébés, des enfants, des femmes et des hommes, soient massacrés, violés, mutilés, pris en otage, sans la moindre pitié. N’ayons pas peur de le dire. 

Comme l’a écrit Frank Herbert, «l’atrocité n’a pas d’excuse, pas de circonstance atténuante. Jamais elle n’équilibre ni ne corrige le passé. Elle ne fait qu’armer l’avenir pour d’autres atrocités.» 

De même, il est tout aussi légitime d’exprimer nos inquiétudes et notre désespoir face à la crise qui se déroule à Gaza, où trop d’innocents ont perdu la vie, trop d’enfants sont devenus orphelins, trop de mères ont versé des larmes. Il n’y a rien de contradictoire à s’opposer résolument au terrorisme d’une part, et à tout mettre en œuvre pour atténuer les crises humanitaires d’autre part. C’est pour cette raison que nous exigeons le respect du droit international. Que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger la vie des innocents. Que nous œuvrons sans relâche pour la libération des otages. Que nous insistons sur la nécessité de stopper le Hamas. 
Il ne fait aucun doute que le Hamas est une organisation terroriste. Il ne représente pas les aspirations légitimes du peuple palestinien. Au contraire, il leur fait obstacle. C’est pourquoi le Parlement a également appelé à une pause humanitaire la semaine dernière, afin de garantir que toute l’aide nécessaire parvienne à ceux qui en ont désespérément besoin. Et je suis fière que nous l’ayons fait.

L’Europe est aussi prête à s’engager sur le long terme. Nous avons en effet une certaine expérience dans la résolution de problèmes en apparence insurmontables. Quel meilleur endroit que Berlin pour le rappeler? Nous œuvrerons sans relâche en faveur d’une paix durable. En faveur d’une solution à deux États qui soit équitable et juste. 
Malheureusement, les atrocités commises par les terroristes du Hamas ont fait reculer cette perspective de plusieurs années, si ce n’est de plusieurs décennies. Chaque jour qui passe sans que les 200 otages prisonniers du Hamas ne soient libérés, nous nous éloignons un peu plus d’une stabilité durable.

En tant qu’union, nous avons la responsabilité de rester cohérents et unis pour veiller à ce que de tels actes ne soient pas excusés. Cela ne signifie pas que nous nous résignons à davantage de morts et de violence. Bien au contraire, il faut y voir le signe de notre détermination à chercher le chemin de la paix. Le Hamas n’offre aucun espoir de paix. Il ne fait que verser le sang. Et trop de sang a déjà coulé. 
L’Europe a toujours été du côté de l’humanité. C’est notre rôle et nous devons être à la hauteur de la situation.

J’appartiens à la génération de ceux qui ont vu le Mur de Berlin tomber, assis sur les genoux de leurs parents. J’ai regardé les manifestations de la place Tiananmen sur un petit écran à l’image granuleuse . Et je me souviens de la chute de l’URSS et de la liesse de ces millions d’Européens enfin libres de décider de leur propre destin. Ma génération a recueilli tous les fruits de la victoire de la démocratie libérale dans un monde nouveau. Mais au fil du temps, il semble que nous nous soyons endormis sur nos lauriers, et que nous ayons tenu cette vie, notre mode de vie, pour acquis. 

L’année dernière, au moment où la Russie a lancé son invasion illégale et injustifiée de l’Ukraine, nous avons compris de la manière la plus brutale qui soit combien nous avions eu tort. J’ai envie de croire que nous avons tiré les leçons de nos erreurs, 
et que dans ce moment crucial où nous entendons relancer, réformer et réinventer l’Europe, les valeurs de paix, de justice, de liberté et de dignité humaine resteront la pierre angulaire de tout ce que nous avons bâti et de tout ce que nous continuerons d’accomplir, car c’est ce qui rend l’Europe unique.

La donne géopolitique change. Les chars de Poutine assaillent l’Ukraine indépendante et souveraine; Loukachenko persécute, emprisonne et torture des citoyens en raison de leurs convictions démocratiques.

La question  que nous devons nous poser est la suivante: quelle est notre place dans tout cela? Le monde ne peut pas prospérer dans un état de déséquilibre. Nous devons réaffirmer le rôle que nous y jouons en nous montrant plus forts et plus unis sur la scène internationale. Pour cela, nous devons bâtir une alliance démocratique mondiale, faite de partenaires et d’amis fiables.

C’est la raison pour laquelle nous devons rester fermement engagés aux côtés de l’Ukraine. Alors que l’attention médiatique est accaparée par la situation au Moyen-Orient, Vladimir Poutine s’attend à ce que notre soutien politique, humanitaire et militaire décline. Nous ne devons pas relâcher nos efforts. Il en va de la sécurité de l’Ukraine autant que de la nôtre.

Nous devons renforcer nos liens avec tous les acteurs qui partagent nos valeurs. Avec les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada sur la sécurité, le numérique, le climat et le commerce. Avec l’Inde, dont la croissance économique reste à la hauteur des aspirations de sa jeune génération. Avec les démocraties d’Amérique latine, afin de sécuriser les chaînes d’approvisionnement mondiales et de fournir les matériaux critiques dont le monde a besoin. Nous devons engager de véritables échanges avec les nations africaines, ce qui suppose de leur donner la parole. Non seulement en matière d’immigration, mais aussi au sujet des investissements que nous pourrions proposer pour soutenir leur prospérité et y contribuer. 

Parallèlement, nous devons nous intéresser à la Chine. La stratégie de réduction des risques est plus pertinente que la prise de distance. Nous devons saisir cette occasion pour déterminer les domaines dans lesquels nous avons été distancés et les solutions les plus adaptées. Car nous, les Européens, envisageons les choses différemment. C’est pourquoi nous travaillons sur un pacte vert pour l’Europe: nous avons adopté un système révisé d’échange de quotas d’émission, un nouveau mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, mais aussi une directive révisée sur les énergies renouvelables, en plus de la création d’un Fonds social pour le climat.
Par ailleurs, à l’heure de la diversification de nos partenaires de travail et commerciaux, la construction de relations fiables et durables doit rester notre priorité.

Cela m’amène au prochain sujet: la réforme. Ces dernières années ont été difficiles pour l’Europe et pour le monde. Nous vivons une ère marquée par des crises multiples. Et je l’affirme aujourd’hui avec certitude: je suis fière de la manière dont nous avons su réagir et prendre la mesure de ces situations. Nous avons surmonté une crise financière, une pandémie. Nous avons traversé le Brexit et trouvé de nouvelles voies pour avancer. Nous avons défendu nos valeurs et résisté face aux menaces géopolitiques. Tout cela sans pour autant négliger de protéger durablement nos économies, de lutter contre le changement climatique et d’adopter des lois inédites dans le secteur numérique, qui seront inévitablement reprises par le reste du monde.

L’Union a su ne pas reculer face à ces défis. Au lieu de nous diviser, ils nous ont rapprochés. Au lieu de nous affaiblir, ils nous ont renforcés. Nos réactions nous ont façonnés et ont posé des bases durables pour les années à venir.

Mais nous devons aussi reconnaître que nos structures actuelles présentent certaines limites. Grâce aux conversations que j’ai pu avoir avec les citoyens européens, avec de jeunes gens comme vous, j’ai pris conscience du fossé qui subsiste entre vos attentes et ce que l’Union européenne est en mesure de vous apporter à l’heure actuelle. 

Si nous voulons grandir, si nous voulons rester une puissance incontournable, si nous voulons éviter la stagnation, nous devons résolument prendre l’initiative dans le débat en faveur du changement. Nous devons conduire des réformes et nous adapter à ce monde en constante évolution et de plus en plus géopolitique. 

Cela implique notamment de préparer l’élargissement. J’ai entendu et pris en compte bon nombre des préoccupations à ce sujet. Elles ressemblent fortement à celles qui avaient déjà été exprimées avant 2004. Pourtant, l’histoire a prouvé qu’une Union élargie, fondée sur des objectifs, des valeurs et des critères clairs, c’était un investissement dans la paix, la sécurité, la stabilité et la prospérité du continent européen. Toutes les parties concernées ont à y gagner et le Parlement européen l’a bien compris. C’est pourquoi l’an dernier, nous avons été la première institution à demander le statut de pays candidat à l’adhésion à l’Union pour l’Ukraine et la Moldavie. Ce statut a offert une perspective européenne claire à ces nations et constitue un puissant facteur de progrès pour leurs réformes démocratiques. Il en va de même pour les Balkans occidentaux.

Si l’heure est déjà à la réforme dans leur cas, nous devons également nous préparer à faire de même. Ce qui fonctionne pour une Union à 27 ne fonctionnera pas pour une Union à 30, 33 ou 35. Nous devons nous montrer à la hauteur. Car, à force de faire attendre ces pays, il ne faudra pas nous étonner qu’ils se tournent vers d’autres.
La sécurité, la défense et l’immigration devraient figurer parmi les priorités de notre programme de réformes. Nous devons nous mettre immédiatement au travail pour bâtir une véritable Union de la sécurité et de la défense. Une Union qui vient compléter l’OTAN sans risquer de lui faire concurrence. Les États membres doivent poursuivre leurs efforts pour augmenter leur budget alloué à la défense. En effet, si nous voulons pérenniser notre projet et protéger notre mode de vie, nous avons besoin de ressources suffisantes. Le climat géopolitique actuel en est la preuve.

En ce qui concerne l’immigration, après une décennie dans l’impasse, je suis ravie d’annoncer que nous sommes aujourd’hui en mesure de commencer à dessiner une nouvelle trajectoire. Des discussions sont en cours pour définir un nouveau cadre juridique global qui soit juste avec ceux qui ont besoin de notre protection, ferme avec ceux qui n’y sont pas éligibles, et sévère avec ceux qui profitent des plus vulnérables. Un véritable régime de migration et d’asile européen commun qui sera à la hauteur des attentes des citoyens. J’en conviens, il reste encore beaucoup à faire. Le cadre actuel présente de nombreuses failles, tout comme celui qui est discuté. On en retrouve par exemple entre la phase de rejet de demande d’asile et la décision de retour. Les tragiques événements survenus à Bruxelles il y a quelques jours nous l’ont rappelé. Mais nous n’avons jamais été aussi proches du but. Vous pouvez compter sur l’engagement sans faille du Parlement européen pour mettre au point ce paquet législatif d’ici la fin de notre mandat.

Au moment où je prenais mes fonctions, j’ai réfléchi aux valeurs que nous partagions tous en tant qu’Européens, et aux exigences auxquelles nous devions répondre à ce stade. Ces valeurs ne se résument pas à de vagues notions ou à des idéaux abstraits. De mon point de vue, afin de s’engager dans une voie véritablement équitable et juste, il nous faut redoubler d’efforts pour transformer ces valeurs en avantages concrets pour les citoyens. Dans le cadre par exemple de la transition écologique, ou encore de la transition numérique, notre travail consiste à faire en sorte que nos politiques soient suffisamment ambitieuses pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés, mais aussi à proposer de vraies incitations et les filets de sécurité nécessaires aux entreprises, en conservant l’humain comme élément central essentiel de notre action. Autrement dit, ces politiques doivent être au service des citoyens pour pouvoir être comprises et atteindre leur but.

À l’approche des élections européennes, qui se dérouleront du 6 au 9 juin 2024, cette exigence est plus importante que jamais. Si elle n’est pas respectée, si nous ignorons les inquiétudes que nous confient les citoyens, nous pourrions assister à une inquiétante montée des extrêmes. Nous parviendrons à trouver cet équilibre, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. Je suis également convaincue que nous parviendrons à redonner confiance aux citoyens quant au potentiel de notre projet.

Aujourd’hui, mon dernier message pour vous est celui-ci: en cette période charnière, joignez-vous à moi afin de réinventer et de réformer notre Europe. Ne cédez pas au cynisme facile qui peut être particulièrement tentant. Faites valoir votre idée de l’Europe idéale. L’avenir ne se joue pas seulement l’année prochaine, dans les bureaux de vote de toute l’Europe. Il se joue aussi aujourd’hui. Partout, engageons des discussions sur la transformation de l’Europe. Je serai ravie de pouvoir répondre à toutes vos questions et, surtout, je suis pressée d’écouter vos idées.

Je vous remercie.