Le monde a besoin que l'Europe et les États-Unis continuent d'intensifier leurs efforts 

 

S'adressant au Forum des dirigeants mondiaux (World Leaders Forum) à l'Université Columbia de New York, la Présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a appelé à une relation transatlantique plus forte, fondée sur un rêve et des valeurs partagés. "Notre relation transatlantique a résisté à l'épreuve du temps mais nous devons continuer à travailler ensemble, à diriger ensemble", a-t-elle déclaré devant une salle comble.

Merci, Madame la Présidente, pour cette aimable présentation.
 
Mesdames et Messieurs, bonjour.
 
Permettez-moi de souligner à quel point je suis honorée d’être ici, au sein de l’une des plus grandes universités du monde, pour vous parler de leadership. Pour vous dire ô combien il importe pour le monde que l’Europe et les États-Unis continuent de jouer les premiers rôles. Pour vous dire que le leadership concerne avant tout les citoyens, c’est-à-dire vous, et non les institutions. Et pour vous dire qu’en raison des réalités géopolitiques que nous connaissons actuellement, nous sommes contraints de préparer l’avenir, alors même que celui-ci est plus difficile à anticiper qu’il y a quelques années.
 
Je suis la plus jeune Présidente de l’histoire du Parlement européen. Les personnes de ma génération ont vu, assises sur les genoux de leurs parents, le mur de Berlin tomber, elles ont assisté, au travers d’écrans de télévision pixélisés, aux événements de la place Tiananmen, et elles se souviennent confusément de l’effondrement de l’URSS et de la joie débordante de millions d’Européens, enfin libres, après un demi-siècle, de prendre en mains leur destin. Ma génération a récolté tous les fruits de la victoire de la démocratie libérale dans un monde nouveau.
 
En Europe et aux États-Unis, ma génération est la dernière à se souvenir d’un monde où la démocratie libérale n’allait pas de soi. Nous étions convaincus que notre idéal l’avait emporté, et que notre victoire serait éternelle. Nous étions convaincus que notre vision façonnerait le nouvel ordre mondial. Lorsque les grands blocs se sont disloqués, nous étions convaincus que la démocratie, la liberté, l’état de droit et la coopération ouvriraient une nouvelle ère d’échanges internationaux, de droits et de libertés individuels.
 
Nous étions convaincus de pouvoir braver et surmonter toute menace pesant sur notre mode de vie. Peut-être nous sommes-nous trop reposés sur nos lauriers. Peut-être avons-nous trop baissé la garde.
 
L’année dernière, la cruelle vérité s’est rappelée à nous de la manière la plus brutale qui soit. Lorsque les chars russes ont déferlé sur l’Ukraine indépendante et souveraine et que des hommes armés se sont livrés au pillage, au viol, au meurtre, notre monde a basculé. Pour toujours.
 
Nous avons compris, en ce jour fatidique, que nous devions prendre les rênes de ce nouveau monde. Certes, les États-Unis et l’Europe ne sont pas irréprochables et ont nombre de failles à combler. Malgré tout, ils demeurent le lieu où s’épanouit de manière durable notre mode de vie, des bastions de liberté et d’indépendance, et, si nous nous dérobons au rôle de leaders qui est historiquement le nôtre, d’autres, dotés de valeurs très différentes de celles que nous défendons, prendront la main.
 
Cette responsabilité pèse de tout son poids sur nos épaules. Nous avons pris, et devons continuer à prendre, les décisions qui s’imposent. Des décisions difficiles. Des décisions telles que l’ouverture de nos portes et de nos marchés à des pays comme l’Ukraine et la Moldavie, ou encore à des pays des Balkans occidentaux. Des décisions telles que la fourniture d’armes à l’Ukraine.
 
Il y a un peu plus de vingt ans, un vaste débat a eu lieu en Europe sur l’opportunité de l’adhésion de dix pays à l’Union européenne. Encore étudiante à l’époque, j’apprenais les tenants et les aboutissants de la politique, fermement convaincue cependant que l’Europe portait en son sein une formidable puissance transformatrice. Jamais il n’a été question de couler tous les Européens dans le même moule. La conviction fondamentale était plutôt que notre force réside dans notre unité ainsi que, et surtout, dans notre grande diversité. Il s’agissait de notre sécurité, des perspectives qui s’ouvraient à nous et du confort d’appartenir à une communauté. C’était tout ce qui comptait pour nous.
 
Et c’est cet esprit qui guide nos actions aujourd’hui. Malgré toutes nos imperfections, nombreuses encore sont les personnes soumises au joug de l’oppression de par le monde pour lesquelles l’Union européenne n’a pas perdu de son aura. Pour lesquelles les États-Unis seront toujours un allié naturel.
 
La donne géopolitique change. Les chars de Poutine assaillent l’Ukraine indépendante et souveraine; Loukachenko persécute, emprisonne et torture des citoyens en raison de leurs convictions démocratiques; la Chine a émergé en adoptant un système de valeurs différent du nôtre; l’Inde est en plein essor; l’Afghanistan sombre de nouveau dans le chaos; l’Iran sème le trouble au Moyen-Orient et prend le parti de la Russie; la situation est explosive en Afrique orientale et centrale; et l’Amérique du Sud est en proie à des difficultés économiques, tant anciennes qu’inédites.
 
L’Union européenne et les États-Unis sont deux des blocs économiques les plus solides de la planète. Notre relation transatlantique est vitale pour l’économie mondiale. Mais notre véritable force réside dans une dimension bien plus profonde. Nous partageons un rêve. Nous partageons des valeurs. 
 
Le monde ne peut pas prospérer dans un état de déséquilibre. Nous devons bâtir une alliance démocratique mondiale de partenaires et d’amis fiables. 
 
C’est cette responsabilité que nous avons ressentie et assumée lorsque nous avons été appelés à nous tenir aux côtés de l’Ukraine. De la parole, nous sommes passés aux actes, et avons apporté un soutien réel et concret. Ensemble, nous avons adopté des sanctions sévères qui ont frappé la Russie de plein fouet, réduisant de près de moitié ses recettes pétrolières et gazières. Et ces recettes continuent de diminuer. Soumis à une pression immense, nous avons démontré notre capacité d’action et d’adaptation. Nous avons montré que notre mode de vie et notre façon de faire les choses fonctionnent, que nos valeurs comptent, et que tout cela vaut la peine d’être défendu.
 
Ces relations et ces principes ont résisté à l’épreuve du temps, et ce n’est que si nous continuons à œuvrer et à être aux manettes ensemble que nous pourrons surmonter les défis d’aujourd’hui. Trop de nos concitoyens peinent encore à joindre les deux bouts, trop de femmes se heurtent encore à d’épais plafonds de verre, trop de nos jeunes ont encore devant eux un avenir totalement incertain. Le changement climatique continue d’entraîner des effets dévastateurs sur les vies, les moyens de subsistance et notre environnement. La révolution numérique est trop rapide pour que nous puissions l’encadrer par une réglementation responsable. Et ce sont les préoccupations de nos citoyens qui doivent rester au cœur de chacun de nos actes. 
 
Les prochaines étapes qui nous attendent sont de prendre des mesures pour rester compétitifs. Pour créer des emplois et des perspectives d’avenir dignes. Pour empêcher l’inflation d’anéantir la valeur des actifs, sans pour autant rendre impossible pour les jeunes l’acquisition d’un logement. Pour faire en sorte que la transition numérique facilite l’innovation de nos entreprises. Oui, c’est vrai, le risque d’échec est bien présent dans cette transition. Mais faisons en sorte que vous puissiez aussi vous relever plus facilement.
 
Dans l’Union européenne, nous avons commencé à mettre les choses en place. Citons par exemple notre législation sur les semi-conducteurs, ou encore nos législations sur les services numériques et sur les marchés numériques. Nous œuvrons à présent à l’élaboration de la première législation mondiale et exhaustive sur l’intelligence artificielle, qui est favorable à l’innovation. Dans tous ces actes législatifs révolutionnaires, nous sommes parvenus à un équilibre entre l’innovation et le développement des entreprises, la sécurité des citoyens en ligne et la mise en place de normes que le reste du monde suivra inévitablement.
 
La tâche était ardue. L’Union européenne est très différente des États-Unis de par sa composition en vingt-sept pays souverains, chacun ayant des cadres réglementaires, des constitutions, des langues et des intérêts différents qui ne convergent pas toujours nécessairement. Mais c’est précisément de ce creuset d’idées que nous pouvons extraire les meilleures solutions qui fonctionnent pour tous.
 
Bien entendu, les investissements doivent être financés, et ce par des fonds publics. Comment faire croître nos économies – et rembourser nos dettes –, comment nous doter des capacités et des liquidités nécessaires pour financer les solutions qui sont attendues de nous? La réponse est une croissance économique réelle et durable.

J’ai toujours considéré que la transition écologique faisait partie intégrante de cette stratégie de croissance durable. Il ne s’agit pas seulement d’une obligation, mais aussi d’un investissement dans nos économies. Mais pour que cette transition fonctionne, elle doit placer l’humain au centre de ses préoccupations. Elle doit s’articuler autour de l’humain, elle doit proposer de vraies incitations et offrir des filets de sécurité aux entreprises et elle doit être suffisamment ambitieuse pour répondre à la véritable urgence climatique dans laquelle nous nous trouvons. Elle doit remplir les objectifs de l’accord de Paris. Mais elle doit également être au service des personnes.
 
En matière de lutte contre le changement climatique, abstenons-nous de tout raisonnement binaire. Nous pouvons être les continents les plus ambitieux sur le plan climatique tout en cherchant à être les plus compétitifs, les plus innovants et les plus favorables aux entreprises. Mais la seule façon de parvenir à cette fin, c’est... de continuer à parler aux gens. Et surtout: de les écouter. C’est ainsi que nous empêcherons nos citoyens de céder au chant des sirènes des extrêmes, qui avancent des réponses simplistes à des questions très complexes. Il nous appartient d’être les moteurs d’une révolution des technologies propres, et je suis persuadée que nous pouvons le faire en ne laissant personne de côté.
 
En fait, dans l’Union européenne, nous avons déjà accompli des progrès notables. Nous avons opéré une vaste réforme de notre système d’échange de quotas d’émission, une solution fondée sur le marché qui incite les entreprises à limiter leurs émissions en fixant un prix pour le carbone. Nous avons également instauré une taxe carbone aux frontières afin de créer des conditions de concurrence équitables pour nos entreprises et nous sommes convenus de mettre en place un Fonds social pour le climat qui aidera les entreprises comme les ménages à limiter leurs émissions.
 
Ces efforts portent déjà leurs fruits. Depuis l’année dernière, le nombre d’installations photovoltaïques et éoliennes a fortement augmenté en Europe – 47 % de plus pour le photovoltaïque, 30 % de plus pour l’éolien, pour être exacte. Malgré les problèmes liés aux chaînes d’approvisionnement après une pandémie dévastatrice et des conditions économiques difficiles, l’Europe est en bonne voie pour parvenir à la neutralité climatique d’ici à 2050.
 
Quelques mots désormais sur la défense.
 
Si nous avons appris une chose au cours de l’année et demie écoulée, c’est que le concept de sécurité doit être appréhendé différemment. Il n’est plus seulement question de moyens de guerre conventionnels. Dans sa volonté de briser la résistance ukrainienne et d’affaiblir le soutien apporté par l’Occident, Vladimir Poutine instrumentalise l’information, l’énergie, la nourriture, et même les personnes. L’heure est venue pour l’Union européenne et l’OTAN de renforcer les piliers de leur coopération. Il faut soutenir la paix – la paix réelle, qui va de pair avec la liberté. Il faut protéger nos concitoyens. Il faut défendre nos valeurs.
 
Je lance ici un appel: je suis venue en ces lieux aujourd’hui pour vous encourager à jouer un rôle de leaders. Pour vous faire ressentir l’urgence de la situation. Le rabbin Jonathan Sacks a écrit un jour: «Nous n’avons pas tous du pouvoir. Mais nous exerçons tous une influence, que nous le voulions ou non... Il existe une forme de leadership calme d’influence qui ne convoite pas le pouvoir, mais change des vies. En ces temps difficiles, nous en avons plus que jamais besoin.»
 
Le monde a besoin de ce que vous, les étudiants, avez à offrir: vos connaissances, vos compétences, votre détermination, votre cran, votre leadership. Tenez-vous prêts à croiser, comme cela m’est arrivé, la route de quelques cyniques. Mais chaque génération a été sous-estimée jusqu’à ce qu’elle fasse ses preuves devant le monde.
 
Que vous vous destiniez à la politique, à la médecine, à la science, à la technologie, à la recherche, je suis intimement convaincue que vous renfermez un potentiel illimité pour rendre notre monde un peu meilleur, un peu plus sûr et un peu plus égalitaire. Pour le rapprocher un peu de ce qu’il devrait être.
 
Mes chers amis, le moment est venu pour nous d’affirmer notre leadership: répondons présents!