Il est temps de renouveler notre alliance transatlantique 

 

S'adressant aux étudiants de l'université Harvard à Cambridge, la Présidente Metsola a déclaré que, unis par un rêve et une promesse communs, l'UE et les États-Unis doivent nouer des liens économiques, sociaux et de sécurité plus forts et mutuellement bénéfiques.

Chère Sviatlana,
Chers invités,
Chers étudiants,

Laissez-moi vous dire combien c’est un honneur pour moi de me trouver ici, d’être invitée dans cette grande université et de pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui. J’ai le sentiment de connaître intimement la Harvard Kennedy School. C’est l’alma mater de mon mari, et vingt ans plus tard, comme tous ceux qui ont étudié ici, nous l’évoquons encore dans une conversation sur deux. 
 
Cela témoigne du prestige de l’université et de sa marque durable. Ceci pour vous donner quelques éléments de contexte. Il y a vingt ans, j’ai fait campagne pour l’adhésion de mon pays à l’Union européenne. Encore étudiante à l’époque, j’apprenais les tenants et les aboutissants de la politique. Ce fut une campagne acharnée. J’étais ardemment convaincue que la place de ma génération était en Europe. J’en reste convaincue. 

L’effet transformateur de l’Europe sur nos sociétés, sur nos communautés, sur nos normes, sur notre économie et sur notre environnement était tout ce qui comptait. Il était question de notre sécurité, de la force résidant dans l’unité et du confort d’appartenir à une communauté. 

Nous avons remporté cette campagne. Nous avons pris notre place à la table. Je repense très souvent à cette époque-là, et je sais à quel point c’est vital pour les populations de l’Ukraine, de la Moldavie et des Balkans occidentaux. 

Ainsi, lorsque nous parlons de «lutte d’importance et de valeur», il nous faut comprendre que le concept d’Europe représente tout pour des millions de personnes. Ce n’est pas seulement une destination. C’est un mode de vie et un art de vivre. 

C’est une lumière, parfois isolée, qui défend les démocraties libérales, les marchés libres, les filets de protection sociale et les libertés individuelles. C’est loin d’être parfait. Je partage nombre des frustrations exprimées à l’égard de nos processus, mais même avec ses imperfections, l’Europe en vaut la chandelle. 

C’est cette conviction qui a permis à la relation transatlantique de survivre à l’épreuve du temps – et à l’épreuve de certaines administrations. 

Je me suis entretenue un peu plus tôt avec un journaliste américain et l’idée que les États-Unis sont une ville étincelante sur la colline a été évoquée presque en plaisantant. Mais pour tant de personnes dans le monde qui vivent encore dans l’ombre d’une autocratie ou sous la menace d’une agression, les États Unis et l’Union européenne n’ont pas perdu de leur éclat. Nous avons tendance à oublier qu’aujourd’hui encore, plus de personnes vivent en autocratie qu’en démocratie. Il suffit de regarder le combat que Sviatlana livre chaque jour. 

Chère Sviatlana, je ne saurais vous dire la force que je puise dans votre courage et votre résilience. Je suis admirative de tout ce que votre peuple est prêt à faire pour ce que nous, ici, tenons pour acquis au quotidien. C’est grâce à vous et aux personnes qui se battent à vos côtés que la Biélorussie sera libre. 

Sviatlana et le peuple pour lequel elle se bat mènent un combat de chaque jour pour la liberté. Un mot qui, à force d’être répété, a perdu de son sens pour nombre de personnes. Nous tenons beaucoup de choses pour acquises: pouvoir voter pour qui nous plaît ou lire des médias indépendants, pouvoir nous réunir, dire ce que nous voulons, débattre et ne pas être d’accord, rechercher notre bonheur, vivre et aimer comme bon nous semble sans devoir en payer le prix. Beaucoup ont été surpris de constater qu’il y a encore des gens qui remettent cela en question. 

L’Europe et les États-Unis ont un devoir et une responsabilité. Nous devons nous en acquitter ensemble. Pour ce faire, nous ne devons pas avoir peur de jouer un rôle de chef de file. 

Nous avons peut-être pensé que nous avions gagné en 1989, avec la chute du Mur et l’effondrement du communisme dans une grande partie de l’Europe. S’il y a une leçon que nous avons apprise brutalement le 24 février de l’année dernière, c’est que la bataille continue. L’Ukraine se bat pour la promesse de l’Europe. Pour les valeurs que nous partageons. 

La Seconde Guerre mondiale a peut-être pris fin en 1945, mais des millions de personnes ont dû attendre encore cinquante ans avant de pouvoir être libres. Nos États membres d’Europe centrale et orientale savent ce qui est en jeu en Ukraine. Ils l’ont vécu pendant des générations. Nous pouvons briser le cycle de l’histoire et reléguer l’agression et l’impérialisme aux livres d’histoire, où est leur place. Cela demande du courage. Cela demande de la volonté politique, et lorsque l’Europe et les États-Unis sont sollicités, nous ne pouvons pas tourner le dos. 

Et nous n’avons pas tourné le dos. Je suis extrêmement fière de notre réponse – de la résilience dont nous avons fait preuve au cours de l’année écoulée. 

En Ukraine, par notre soutien, nous avons mis nos actes en cohérence avec nos paroles. 

Je suis bien consciente qu’il y en a qui remettent en cause la mobilisation de l’Union européenne et des États-Unis, qui préfèrent prétendre que ce qui se passe en Ukraine n’est pas réel ou qui cherchent à excuser les crimes de guerre et les violations du droit international. Qui préfèrent la simplicité de la propagande à la dure réalité de la guerre. Qui pensent qu’ils sont trop loin pour s’en soucier. 

À tous ceux-là, je dis: le prix de la liberté n’est pas trop élevé. L’Union européenne a évité les conflits à l’intérieur de ses frontières en promouvant les intérêts de ses citoyens – et non en les subjuguant –, en protégeant la démocratie, l’état de droit et le respect de la dignité humaine dans tous ses États membres. La paix doit rester l’objectif ultime, mais pour qu’il y ait la paix, l’Ukraine doit continuer d’exister. Et ce ne sera pas le cas sans notre soutien. 

L’année dernière, en Allemagne, l’évêque Dieser d’Aix-la-Chapelle a déclaré: «L’Union européenne n’a pas besoin de conquérir ni de détruire qui que ce soit pour être et pour rester elle-même, mais elle doit maintenant apprendre, dans une détresse profonde et brutale, combien ses valeurs et ses réalisations sont gravement menacées, et à quel point les gens qui se battent également pour ces valeurs meurent ou se voient voler leur bonheur.»

Chers amis, 

La démocratie demande des efforts; 
elle mérite du courage; 
elle exige du leadership. 

Et du leadership, il en faudra pour surmonter les multiples crises qui font rage des deux côtés de l’Atlantique. Nous faisons face à une guerre, et avec une reprise économique après la pandémie qui reste bien trop fragile, des factures énergétiques et une inflation toujours élevées, les gens ont plus de mal à joindre les deux bouts en fin de mois. Nous sommes confrontés à des défis liés à la migration qui doivent encore être pleinement relevés. À des matières premières qui se raréfient et nuisent aux chaînes d’approvisionnement mondiales. À une catastrophe climatique que l’on ne saurait ignorer. À une corruption qui sape la confiance des citoyens. À des défis liés à l’état de droit qui menacent les droits des citoyens. 

L’Union et les États-Unis sont peut-être de proches alliés de longue date, mais à l’heure où l’économie mondiale peine à se redresser, nous devons renforcer toujours plus notre amitié et tisser des liens économiques, sociaux et de sécurité plus solides et mutuellement bénéfiques. Nous devons éviter un nivellement par le bas. C’est pourquoi il est essentiel de renouveler notre alliance transatlantique si nous voulons faire face aux réalités nouvelles et très dangereuses qui façonnent nos sociétés et nos communautés. Il est vrai que certains souhaitent revenir cent ans en arrière – nous devons être prêts à relever ce défi bien réel. 

Les défis sont légion et ne sont pas seulement externes. 

Prenons par exemple la circulation des personnes. Tout chef d’entreprise ou expert financier vous dira que nos économies ont besoin de personnes pour continuer à croître, pour pourvoir des emplois et pour assurer la pérennité des modèles d’entreprise. Dans le même temps, les gens veulent garder leur village ou leur ville natale telle qu’elle était, selon eux, il y a cinquante ans. Nous entendons moins parler des avantages et de la beauté de la diversité que d’une sorte de fausse nostalgie d’un mode de vie dont nous aimons à penser qu’il a existé autrefois. Nous voulons tous les avantages d’une économie mondiale forte, sans en supporter aucun coût. 

Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce à quoi nous sommes tous confrontés. Comme il est facile de vendre des solutions simples ou des slogans qui n’existent pas en réalité.

Actuellement, en Europe et de ce côté-ci de l’Atlantique, nous constatons que ces questions sont instrumentalisées pour rétablir les politiques identitaires dans une tentative grossière de gagner les élections en faisant appel à ce qu’il y a de pire dans notre nature. C’est l’utilisation de la désinformation pour créer «l’autre» sur qui nous pouvons rejeter tous nos maux. Ou encore le concept d’une mystérieuse «élite» gouvernant à Washington ou à Bruxelles. C’est une tactique aussi vieille que la politique. 

Son but n’est pas de résoudre les problèmes ou de rendre la vie des gens un peu plus facile ou un peu plus sûre. C’est la dernière ressource de ceux qui n’ont pas de réponses. Pour qui le pouvoir est un objectif en soi. Nous devons contrer ce discours et le faire reculer, faute de quoi nos sociétés se replieront sur elles-mêmes sous l’effet de la désinformation et de la méfiance. 

Pour ce faire, nous devons reconstruire le centre de notre paysage politique pour qu’il retrouve tout son potentiel de force de changement positif au niveau mondial. Le compromis et la modération étudiée ne sont pas des concepts dépassés: ils constituent en effet la seule voie à suivre. 

À chaque grand problème que l’Europe a rencontré au cours de la dernière décennie, nous nous en sommes sortis en nous rapprochant les uns des autres. La crise financière, la pandémie, la guerre en Ukraine, les défis liés à l’état de droit, les migrations, la sécurité et la défense – notre ligne de conduite a été d’avancer ensemble, de mettre en commun nos ressources et de coopérer davantage. Nous devons poursuivre dans cette voie. Cela ne veut pas dire que l’Europe est homogène ou qu’elle essaie de l’être – loin de là – nous sommes tous différents, mais nous pensons que nous devrions avoir les mêmes chances, que nous sommes fondamentalement tous mieux lotis lorsque nous agissons ensemble.

L’Union européenne et les États-Unis sont deux des blocs économiques les plus puissants de la planète, mais notre véritable force réside dans le fait que nous ne nous reposons pas seulement sur l’économie, mais sur quelque chose de bien plus profond. Nous avons un rêve commun, une promesse commune. 

De part et d’autre de l’Atlantique, nous devons tous faire entendre notre voix pour défendre une politique forte fondée sur des valeurs, sans quoi nous risquons d’être noyés dans le populisme et de donner du grain à moudre à ceux pour qui notre mode de vie, du simple fait de son existence, constitue une menace.

Nous devons retrouver ce sentiment d’espoir. D’optimisme. De compréhension. Nous devons continuer d’écouter, d’expliquer et d’obtenir des résultats. C'est ainsi que nous pourrons recréer le «centre politique» et éviter un repli vers le confort des extrêmes et les réponses faciles des populistes aux questions difficiles. C’est ainsi que nous garantirons que nos démocraties libérales peuvent répondre aux préoccupations des citoyens, en démontrant chaque jour, de façon tangible, la valeur de la démocratie et de la liberté. Nous devons le faire mieux.

C’est maintenant que nous devons agir. Le moment est venu pour notre génération de reprendre le flambeau, de réaffirmer la nécessité et la valeur de la démocratie et du multilatéralisme.

Je suis convaincue que nous pouvons relever ce défi.

Je vous remercie.