L'Ukraine a besoin d'un arsenal lourd, l'Europe doit être en mesure de passer à la prochaine étape 

 

Lors de la "Nuit des idées européennes" à Berlin, la Présidente Metsola a appelé à un soutien supplémentaire à l'Ukraine. "Les chars sont indispensables. Nous devons être en mesure de franchir l’étape suivante."

© Union européenne | La Présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, prononce un discours lors de la Nuit des idées européennes, à Berlin

L’Europe vit des temps nouveaux. Nous sommes pris dans une tourmente mêlant inflation, incertitude politique, pénurie alimentaire, augmentation du coût de la vie et raréfaction des ressources énergétiques, accompagnée d’une flambée des prix de l’électricité. Tout cela s’inscrit dans le contexte de la guerre qui sévit sur notre continent, de l’invasion brutale de l’Ukraine et de l’incertitude politique qui pousse de plus en plus de gens à chercher un remède aux marges de l’échiquier politique. 

La tâche est immense. Et elle n’est pas simple. Pas simple pour nous au Parlement européen, ni pour personne en Allemagne, ni pour aucun État membre ou gouvernement. 

Avant d’en demander davantage, permettez-moi de remercier l’Allemagne pour tout ce qu’elle a fait. Pour toute l’aide militaire apportée. Pour l’accueil réservé à nouveau à ceux qui fuient la guerre. Pour les décisions difficiles qu’elle a dû prendre. Pour tous les sacrifices endurés et ceux à venir.

Mais la guerre n’est pas finie. Nous serons appelés à poursuivre nos efforts. Et lorsque la fatigue de la guerre s’installe, que les chiffres des sondages et les articles d’opinion deviennent plus difficiles à lire, c’est à ce moment-là que nous devons puiser dans nos ressources et trouver la résilience nécessaire pour tenir bon. 

Il n’y a pas de réponses simples ni de garanties – quiconque le proclame ne saisit pas toute l’ampleur du défi.  Mais je suis convaincue que nous sommes en mesure de le relever. Que nous pouvons trouver les réponses aux questionnements de nos citoyens. Que nous sommes là pour rester et que, quels que soient les obstacles qui se dresseront devant nous, nous pourrons mieux les surmonter si nous nous unissons.

Permettez-moi de dire ici que l’unité ne signifie pas nécessairement l’homogénéité. L’Europe ne cherche pas à rendre tout le monde identique. Nous sommes différents; nous avons des traditions, des langues et des cultures différentes 

L’Europe doit accepter ces différences tout en garantissant l’égalité des chances. Tout le monde doit avoir les mêmes chances, pas nécessairement la même opinion. C’est notre force, même si le président Poutine la considère comme notre faiblesse. Il se méprend sur nous. 

Il est également vrai que dans ce monde nouveau, nous avons besoin de leadership. Nous avons besoin d’une Europe visible sur les grands enjeux et discrète sur les questions de moindre importance. Nous avons besoin de compromis. Nous devons avoir le courage politique de dépasser les considérations à court terme et nous devons engager des réformes. 

Je suis convaincue que l’Europe est sur la bonne voie, mais que, pour être visible sur les grands enjeux, elle doit être capable de répondre à la menace réelle que représente aujourd’hui pour elle l’invasion de l’Ukraine.

La réponse de l’Europe a été rapide. Je suis fière de notre réponse. Elle était nécessaire au vu de la gravité de la menace. Nous n’avons pas tout résolu, mais nous avons fait en sorte que notre mode de vie soit protégé. Nous avons montré que tout ce que nous prônons depuis un demi-siècle a de l’importance, même face aux assauts de ceux qui cherchent à tout faire échouer – surtout à ce moment-là.

Nous ne pouvons pas nous permettre de nous laisser bercer par un faux sentiment de sécurité. Nous savons que le risque est existentiel et nous devons réagir en aidant l’Ukraine à se défendre. C’est pourquoi nous avons agi si rapidement pour nous désengager, moyennant des sacrifices considérables, des approvisionnements énergétiques russes. C’est pourquoi nous avons aidé l’Ukraine par un soutien financier et militaire. C’est pourquoi nos sanctions ont coûté cher à la Russie et pourquoi nous devons continuer à intensifier notre action et notre soutien. C’est pourquoi nous devons poursuivre le gel et la saisie d’actifs pour financer la reconstruction de l’Ukraine. C’est pourquoi nous devons nous pencher sur le German Marshall Fund, par exemple, et explorer les meilleures façons d’utiliser toutes les options existantes pour faciliter l’accès de l’Ukraine aux fonds dont elle a besoin. 

Depuis le début de l’agression russe, l’Union européenne a approuvé une aide financière de 7,2 milliards d’euros à l’Ukraine. Nous avons débloqué 2,5 milliards d’euros pour soutenir les forces armées ukrainiennes et nous n’entendons pas nous arrêter là. Nous avons accordé à l’Ukraine le statut de pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne, un statut qui donne aux pays qui l’obtiennent des perspectives de développement claires – même si nous savons que ce processus prendra du temps.

Le moment est venu où il est vraiment important que l’Europe joue un rôle de premier plan. Et nous comptons sur l’Allemagne pour nous aider à le faire. Ensemble, nous devons faire plus. Nous devons aussi comprendre que nous ne pouvons pas demander à un pays de supporter seul toute la douleur et tous les sacrifices. 

Nous sommes à un tournant décisif. L’Ukraine a besoin d’armes pour survivre. La quasi-totalité de son industrie de la défense a été anéantie, mais grâce à l’intervention de nombreux États membres, Kiev a pu être préservée au mois de mars. Toutefois, la prochaine phase de la guerre, qui commence maintenant, exigera des armes lourdes. Concrètement, des chars sont nécessaires et nous devons être en mesure de faire ce pas de plus. 

Des plans sont déjà sur la table. Parmi eux figure l’initiative «Leopard Tank» visant à livrer à l’Ukraine environ 90 chars de combat sur les quelque 2 000 chars Leopard 2 dont disposent les différents États membres. Nous savons que même les exemplaires actuellement non opérationnels peuvent être remis en état assez rapidement. De cette manière, des chars de combat modernes pourraient être livrés à brève échéance. Les pays qui fournissent les chars pourraient être compensés financièrement par des fonds de l’Union, tels que la facilité européenne pour la paix, ce qui permettra à tous de contribuer à l’effort. 

Une autre option pourrait être un accord de type «prêt-bail» qui donnerait à l’Ukraine un accès direct à notre industrie de l’armement, ce qui lui permettrait d’avoir davantage son mot à dire sur ce dont elle a besoin, tandis que l’Union l’aiderait à trouver les financements nécessaires. Et si nos États membres unissent leurs forces, aucun d’entre eux ne subira une baisse trop importante de sa propre capacité de défense.

Les deux options ont leurs promoteurs et leurs détracteurs. Aucune n’est parfaite, mais ne rien faire n’est pas une option. L’indifférence n’est pas de mise. Nous avons besoin d’une volonté politique d’agir, 

nous avons besoin de l’Europe dans tout ce qu’elle a de mieux. Cela signifie que nous devons passer de solutions ad hoc à une véritable Union de la sécurité et de la défense, qui complète l’OTAN plutôt que de la concurrencer.

Ce changement de paradigme exige également que notre union prenne des mesures décisives et sans précédent pour réduire nos dépendances et renforcer notre autonomie et notre résilience stratégiques. 

Mes amis, l’Europe dans tout ce qu’elle a de mieux signifie rendre les choses un peu plus simples, un peu plus justes, un peu plus dignes pour les personnes confrontées à l’incertitude comme rarement par le passé. 

Aujourd’hui, les citoyens se demandent avec inquiétude comment ils paieront leurs factures et finiront le mois, et quel monde ils laisseront à leurs enfants. Ils sont inquiets pour l’avenir et l’Europe doit pouvoir leur apporter des réponses. Si les citoyens sentent que la démocratie ne les aide pas à sortir de leur solitude, de leur isolement et de leurs frustrations, ils s’en détourneront.

L’économie est importante. L’emploi est important. Les personnes qui font partie de la société sont importantes. La dignité et l’éducation sont importantes car nous savons que si l’ampleur des écarts économiques au sein de la société est telle que trop de personnes se sentent seules et exclues, alors, elles auront le sentiment que nous avons manqué à nos engagements envers elles. 

Il devient plus difficile de chauffer nos logements, d’approvisionner nos usines en énergie, de poursuivre l’activité de nos PME et de remplir les réservoirs de nos voitures. Avec l’inflation, les prix restent au plus haut. Nous savons tout cela. Il est des décisions que nous pouvons prendre maintenant. 

Nous pouvons agir pour limiter les conséquences: que ce soit en plafonnant les prix, en adaptant nos systèmes de facturation et de tarification ou en dissociant le prix de l’électricité de celui du gaz. Nous pouvons examiner notre budget à long terme, le cadre financier pluriannuel, et voir où une révision est nécessaire et comment nous pouvons mieux l’adapter à ce nouveau monde. Il y a des choses que nous pouvons faire, même temporairement, pour réduire la pression immédiate, tout en mettant en place des stratégies à long terme. Si nous attendions le bon moment pour aller vers «plus d’Europe», ce moment est arrivé. 

L’Europe doit offrir de l’espoir à ses citoyens. Lorsque nous tournons notre regard vers l’est et y voyons les chars de Poutine et l’essor de la Chine fondé sur des valeurs bien différentes des nôtres, lorsque nous tournons notre regard vers le nord et y voyons les conséquences du Brexit, lorsque nous tournons notre regard vers l’ouest et y voyons les profondes divisions sociétales exploitées par le trumpisme, il est clair que le monde a besoin de l’Europe au sommet de sa forme. C’est en réaffirmant les valeurs que représente l’Europe que nous aiderons les gens à retrouver un sentiment d’importance et d’optimisme quant au potentiel de notre projet. 

Mes amis, l’Europe, pour survivre, a besoin que nous nous battions pour elle, que nous cessions de la tenir pour acquise, que nous en comprenions et expliquions les avantages, que nous fassions reculer ceux qui ont décidé de la saborder, et que nous écoutions. 

Elle a besoin que nous soyons en mesure de réaffirmer que la politique constructive et pro-européenne du centre, de la modération, de l’équilibre bien pesé fait toujours partie de notre cercle politique – et que cette position doit être consolidée et renforcée au sein du spectre politique.

Elle a besoin que nous soyons capables de la réformer. Elle a besoin que nous soyons capables d’investir dans le potentiel de notre projet européen.

Elle a besoin que notre nuit des idées européennes débouche sur des propositions concrètes. 

Merci à vous.