S’exprimant à l’occasion de la commémoration du 70e anniversaire de la disparition d’Alcide de Gasperi à la Chambre des députés italienne, la Présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a déclaré que le moment était venu de prendre des décisions qui garantissent la prospérité de notre Union pour les générations futures.
Monsieur le Président de la République, Monsieur le Président de la Chambre des députés, Monsieur le Secrétaire d’État, Monsieur le Président de la fondation De Gasperi, Chers invités,
Aujourd’hui, nous rendons hommage à quelqu’un qui, tout comme moi, croyait déjà au projet européen depuis bien longtemps lorsqu’il s’est vu confier la responsabilité de présider le Parlement européen.
Je suis ravie d’être ici parmi vous, dans ce cadre prestigieux de la Chambre des députés italienne, pour commémorer le soixante-dixième anniversaire de la disparition d’Alcide De Gasperi.
Alcide De Gasperi était un visionnaire, mais sa vision ne provenait pas d’idéaux abstraits. Elle était façonnée par son expérience de vie, le long des lignes de faille instables des empires.
Sa vie débuta dans le Trentin, une terre de frontières et de passage, et fut marquée par la transition entre deux époques. Sa capacité à voir au-delà des frontières et de l’horizon historique lui permit d’imaginer une Europe unie, un monde dans lequel la diversité pourrait constituer la force d’un grand projet commun. Sa vie témoigne de l’incroyable potentiel qu’a chaque individu de devenir un agent du changement, dès lors qu’il a l’audace de rêver et d’agir, et le courage de garder le cap. Voilà l’essence de l’histoire européenne.
De Gasperi avait compris que, pour redonner un avenir à l’Italie, il fallait inventer un avenir pour l’Europe. Un avenir différent du passé. Il savait bien que les compromis étaient indispensables, tout en restant fermement déterminé à ne pas transiger sur les valeurs auxquelles il croyait, et auxquelles nous croyons tous aujourd’hui.
Chers amis,
Il y a soixante-dix ans, Alcide De Gasperi parlait de l’avenir de notre continent dans un monde qui évoluait rapidement. Aujourd’hui, c’est à nous de parler de l’avenir de l’Europe, dans un monde qui évolue encore plus rapidement.
Presque 1 000 jours se sont écoulés depuis l’agression russe aux portes de l’Europe. C’est une guerre que l’Ukraine n’a pas souhaitée, qu’elle n’a pas provoquée, mais à laquelle elle fait face avec un courage exceptionnel.
Je suis fière que les États membres de l’Union européenne aient fait front commun et soutenu sans hésitation nos alliés ukrainiens. Nous avons surmonté notre peur de manquer de combustible pour chauffer nos maisons, de ne plus pouvoir faire tourner nos usines et de ne pas réussir à protéger nos familles.
Nous nous sommes tenus aux côtés de l’Ukraine, pas seulement par charité chrétienne, mais parce que nous avons compris que ce n’est pas seulement l’Ukraine qui est en jeu. C’est aussi l’Europe. Notre mode de vie. La survie de l’ordre international fondé sur les règles.
C’est vrai, nous nous sommes longtemps laissé bercer par un faux sentiment de sécurité, par l’idée qu’il existait des frontières qu’aucune armée n’oserait plus violer. Nous avions tort. Aujourd’hui, nous continuons d’œuvrer pour la paix; mais il n’y a pas de paix sans justice, sans dignité ni sans liberté. C’est là une manifestation tangible de la responsabilité qui nous incombe de réaliser la vision de De Gasperi. Il disait: «L’avenir ne se construira pas par la force, ni dans un esprit de conquête, mais avec la patience qu’exige la voie démocratique, dans l’esprit constructif des conventions, dans le respect de la liberté.»
Notre soutien à l’Ukraine ne doit pas faiblir. Tout comme nous devons maintenir fermement notre engagement en faveur d’une véritable Union de sécurité et de défense, complémentaire de l’OTAN et qui ne lui fera pas concurrence. Lorsque nous mettons nos ressources en commun, que nous nous coordonnons, que nous innovons et que nous unissons nos forces dans les marchés publics et la recherche, nous devenons certes plus forts, mais surtout, plus efficaces, plus performants et plus agiles. Ces idées ne sont pas nouvelles. De Gasperi et sa génération ont formulé ces principes il y plus de soixante-dix ans. Pourtant, nous en débattons encore aujourd’hui.
Pour avancer, il nous faut une volonté politique. Il nous faut être unis. Par-dessus tout, il nous faut un profond engagement à l’égard de l’idéal européen qui a toujours caractérisé la classe politique italienne. Nous avons fait preuve du même engagement face au défi de l’immigration, un thème encore prépondérant dans nos débats et discussions, non seulement en Italie, mais partout sur le continent.
Le pacte sur la migration et l’asile, adopté en début d’année après une décennie d’impasse politique, propose un modèle pour demain. Il protégera nos frontières, tout en étant juste vis-à-vis de ceux qui ont droit à la protection. Il sera ferme avec ceux qui ne peuvent pas y prétendre et qui doivent être renvoyés dans leur pays, rapidement et en toute sécurité. Plus important encore, il sera intransigeant envers les réseaux de passeurs qui exploitent les personnes vulnérables et instrumentalisent les migrations.
En 1951, lorsque De Gasperi parlait de l’importance de «se défendre de l’intérieur», il voulait dire que, si nous voulons avancer, il nous faut cultiver plus activement une confiance, une solidarité et une compréhension mutuelle. Ces principes sont à la racine de l’espace Schengen. La confiance que nous accordons à nos partenaires pour la gestion des frontières extérieures nous a permis d’éliminer les contrôles à l’intérieur de l’Union. Voilà un succès européen qui ne peut pas être remis en question.
Cela signifie faire en sorte qu’aucun État membre, ni l’Italie ni aucun autre, ne se sente livré à lui-même face à une question qui nécessite une approche véritablement européenne. Alors, nous devons éliminer la toxicité de ce débat, qui touche au cœur de l’identité européenne. Nous pouvons y arriver en maintenant cette approche européenne dont nous sommes fiers, centrée sur la personne, en n’oubliant jamais qu’il est question d’êtres humains, et non de statistiques désincarnées. Nous pouvons y arriver en mettant en œuvre ce pacte, en nous entraidant, en expliquant et en agissant.
Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Nous devons consacrer des ressources aux personnes qui en ont réellement besoin, parce que seule une approche européenne coordonnée garantira l’intégrité de notre espace Schengen et poursuivra l’œuvre de nos prédécesseurs.
Soixante-dix ans après sa mort, Alcide De Gasperi reconnaîtrait-il le projet européen qu’il a contribué à bâtir? Verrait-il en nous le même esprit courageux lorsque nous devons prendre des décisions difficiles? Face à l’avenir, nous devons redoubler d’efforts pour assurer la sécurité de nos populations, pour rendre nos sociétés plus équitables et pour offrir de meilleures perspectives à nos concitoyens. Cette promesse d’Europe exige que nous nous concentrions sur la compétitivité de l’Europe et que nous renforcions la relance économique. C’est la clé.
À travers notre continent, trop de personnes vivent encore dans la précarité. Elles peinent à trouver un travail décent et même à se loger. Trop de personnes se sentent laissées pour compte. Trop de personnes se sentent exclues.
Lorsqu’elles se tournent vers nous, elles doivent voir des solutions et de véritables responsables politiques.
Notre plan pour l’Europe doit accompagner nos entreprises à travers cette époque de transformation, pour permettre une croissance économique plus rapide. Ce plan doit donner aux gens de l’espoir et des perspectives, les aider à sortir du chômage et créer des emplois de qualité. Le plus crucial, c’est que ce plan bâtisse une base industrielle solide et compétitive à l’échelle mondiale.
Comment cela fonctionnera-t-il? Par la création de conditions et de cadres favorables au développement de nos start-ups et de nos PME, pour qu’elles restent en Europe. Cela suppose d’accroître la productivité, d’encourager l’innovation et d’accélérer les investissements dans notre capacité industrielle. It means deepening our single market in energy, telecommunications, defence, banking, and capital markets, and ensuring a level playing field across all sectors. Cela suppose de conclure de nouveaux accords commerciaux.
Cela suppose de réduire les lourdeurs administratives qui risquent de freiner tout progrès. En Italie, comme partout en Europe, les petits patrons, les entreprises familiales et les multinationales se heurtent à beaucoup trop de portes fermées et ne reçoivent pas une aide suffisante. La bureaucratie complique les choses et donne l’impression que l’Europe est lointaine, ce qui pousse les gens à se tourner vers les extrêmes politiques. Nous devons résoudre ce problème et simplifier nos procédures si nous voulons garder la confiance des citoyens.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
La politique implique des choix difficiles. Il est temps de prendre des décisions pour assurer la prospérité de notre Union au bénéfice des générations futures.
En cette occasion solennelle, l’une des nombreuses leçons que nous pouvons tirer de la vie et de l’héritage d’Alcide De Gasperi, c’est que nos nations et nos peuples, lorsqu’ils se rassemblent, ont davantage à gagner qu’à perdre.
L’Europe s’unit dans la diversité. Elle ne cherche pas à rendre tout le monde identique, mais elle embrasse nos différences et fait en sorte que chacun puisse s’accomplir.
Être Italien et être Européen ne sont pas deux concepts contradictoires. Tout comme il n’est pas antinomique d’être Romain et d’être Italien.
Telle est l’Europe dont rêvait Alcide De Gasperi: une Europe dans laquelle les frontières ne limitent pas les ambitions et où la coopération crée une prospérité partagée; une Europe que nous devons continuer à bâtir pour ceux qui viendront après nous; une Europe fondée sur des valeurs qui offrent des solutions.
Aujourd’hui et chaque jour, nous nous souvenons de lui. Nos rendons hommage à son héritage et nous réaliserons sa vision.
Je vous remercie.