Dans un discours prononcé lors de l'événement « L'Europe à la croisée des chemins », la Présidente du Parlement, Roberta Metsola, a exposé sa vision d'une Europe plus intelligente, plus forte et plus sûre.
Bonsoir à toutes et à tous.
Au vu du titre de l’événement qui nous réunit aujourd’hui, permettez-moi de commencer par une vérité simple: la période où nous étions à une hypothétique croisée des chemins est révolue, et ce depuis longtemps. L’Europe ne peut plus se payer ce luxe. Il ne nous reste plus qu’une seule voie: celle qui consiste à aller de l’avant ensemble. Comment en sommes-nous arrivés là? Aucune discussion ou débat sur l’orientation future de l’Europe n’est possible sans une bonne compréhension des messages envoyés par les électeurs en juin dernier. Une évolution politique a conduit une partie de la population à voter par frustration et désespoir. Leur message était clair: beaucoup ont l’impression d’avoir été poussés trop loin, trop vite. Considérés comme acquis. Ignorés et mésestimés. Il y a deux ans, notre conférence sur l’avenir de l’Europe avait mis en évidence la nécessité d’une réforme et d’un changement. Nous les avons mis de côté, presque oubliés. Les extrémistes et les populistes ont tiré parti de cet immobilisme et, au lieu de nous opposer à eux, nous les avons ignorés et avons sous-estimé leur influence. Trop souvent, les messages sont apparus comme moralisateurs, plutôt que porteurs de solutions pour que nos valeurs rendent la vie des citoyens meilleure et plus juste. Les gens ne se reconnaissent plus dans les simples cases idéologiques de gauche et de droite dans lesquelles on les avait enfermés. Ils ont vu la bureaucratie miner la confiance des investisseurs et même, parfois, l’adoption d’une réglementation à court terme et sensationnaliste réduire notre compétitivité. Le centre politique a peut-être, de justesse, tenu bon, mais il serait imprudent d’ignorer les sonnettes d’alarme en cette époque d’hyperpolarisation. Sans quoi nous ne devrons pas être choqués par la vague spectaculaire de désenchantement, de désengagement et de privation de droits qui déferlera alors. Ces réalités sont dures à entendre, mais je me devais de vous les rappeler. Ma responsabilité en tant que Présidente du Parlement européen, ainsi que celle de mes collègues, est de plaider en faveur d’un changement d’état d’esprit et de priorités pour rapprocher l’Europe des citoyens que nous représentons et qui nous ont élus et déconstruire les discours mensongers de ceux qui proposent des réponses faciles à des questions épineuses. Telle est la réalité. Revenons maintenant à des perspectives plus optimistes: nous sommes toujours dans les temps pour remettre le système en état, le réimaginer et le relancer. Nous sommes le continent qui a changé la vie des gens. Un continent où, comme nous le verrons, des géants comme Konrad Adenauer et Charles De Gaulle ont trouvé le courage de changer le monde. Où Sophie Scholl, Simone Veil and Daphne Caruana Galizia ont refusé de renoncer. La semaine dernière, des millions de citoyens ont commémoré le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. En France, nous avons vu le président Macron se tenir aux côtés du chancelier Merz, ce qui nous rappelle avec force que, même en période d’incertitude, le lien entre ces deux nations reste indéfectible. C’est un signal fort adressé à l’Europe et au monde. Le signal que la promesse de l’Europe tient toujours. Ce n’est pas un hasard si les citoyens de notre voisinage qui se battent contre la tyrannie et luttent dans les rues pour leur liberté le font sous la bannière de nos douze étoiles d’or. Leur regard est tourné vers vous. Vers nous. Parce que l’Europe reste à la fois le plus grand projet politique de l’histoire et le meilleur endroit au monde pour vivre et fonder une famille. Nous ne manquons pas de capacités, de talents, de capitaux, de personnes et d’innovateurs capables de jouer un rôle de premier plan et d’amorcer un renouvellement. Nous sommes un marché unique de 450 millions de personnes. Où Airbus, BMW et Mercedes ont changé la donne au niveau mondial. Où Louis Vuitton, Hermes et Gucci symbolisent la qualité européenne. Où Beckenbauer, Klinsmann, Deschamps et Zidane ont fait vibrer et inspiré. Où BNP, L’Oréal, Novo Nordisk et tant d’autres se sont développés à partir de rien. Où Rovio a créé Angry Birds et Mojang a conçu Minecraft. Où SAP, Spotify et Mistral inventent et innovent. Nous sommes la patrie des bâtisseurs, des champions, des inventeurs et de ceux qui prennent des risques. Nous avons simplement besoin de détermination et de courage politique pour prouver que nous restons ouverts aux affaires, aux idées et aux moyens nouveaux de faire face aux problèmes de toujours. C’est ainsi que nous répondrons au cynisme et que nous vaincrons ceux qui sont déterminés à voir l’Europe échouer. Les citoyens n’en demandent pas beaucoup à leur Europe: Un – ils veulent la sécurité économique: un emploi, une entreprise à faire prospérer. Ils veulent accéder au marché du logement, qui devient de plus en plus hors d’atteinte chaque année. Deux – ils veulent que nous leur facilitions la vie et non que nous la compliquions. Ils veulent des systèmes qui fonctionnent, des systèmes qu’ils comprennent. Et trois – ils veulent se sentir en sécurité, que leurs enfants puissent marcher dans la rue en toute sécurité et sans crainte, et être rassurés quant à notre capacité à nous défendre. Je ne pense pas que la promesse d’une Europe plus intelligente, plus forte et plus sûre soit irréalisable. Une Europe plus intelligente est une Europe qui reconnaît que ses libertés individuelles et ses filets de sécurité sociale dépendent de sa compétitivité. Une Europe où il est possible de transformer une idée en entreprise, de trouver des investissements, d’échouer et de réessayer, encore et encore. Où les jeunes pousses peuvent se développer facilement. Où la bureaucratie est considérablement réduite, même pour des petites choses comme assurer la sécurité routière sans trop compliquer la vie des citoyens. Où la simplification est un mode de fonctionnement, ancré dans nos pensées et nos actes, et non une réflexion après coup. J’ai rencontré le chancelier Merz il y a quelques jours, et il est clair que le message qui nous a été adressé en juin dernier a eu des répercussions sur les élections fédérales allemandes. Les citoyens veulent des résultats, et ils les veulent rapidement. Nous voulons une Europe plus intelligente qui comprenne que plus de réglementation n’est pas synonyme d’une meilleure réglementation – bien au contraire. Une Europe plus intelligente, capable de constater que certains actes législatifs sont tout simplement inapplicables ou irréalistes, ou entraînent des coûts bien plus élevés que ce que la plupart des citoyens sont disposés à payer. Une Europe plus intelligente qui n’a pas peur de changer, voire de faire machine arrière si nécessaire. Une Europe plus intelligente, capable de jouer un rôle de premier plan au niveau mondial en respectant des normes élevées, sans que ses entreprises aient les mains liées. Une Europe qui ne pénalise pas involontairement les entreprises européennes au détriment d’autres sociétés de pays tiers. Une Europe plus intelligente qui reconnaisse ses obligations envers les générations futures en investissant dans les technologies propres et, oui, qui joue son rôle de chef de file dans le domaine du climat, mais sans mettre à mal son industrie ou son agriculture. Le programme de simplification de l’Europe doit marquer le début d’une nouvelle ère et, avec le prochain cadre financier pluriannuel, déclencher un essor économique. Les députés européens, les gouvernements des États membres, l’industrie et les jeunes pousses ont tous des attentes élevées. La situation est claire: nous devons être ambitieux et chercher à changer la donne. Telle doit être la réponse de l’Europe. Dans ce nouveau monde, le fait de brandir un canif émoussé pour se défendre contre des tronçonneuses n’aura pas les résultats escomptés. Nous avons besoin de ce surcroît de flexibilité qui s’est révélé si indispensable ces dernières années. Nous devons nous pencher sérieusement sur nos ressources propres, comprendre la difficulté que cela implique, et nous devons être en mesure de rembourser nos dettes. Une Europe plus intelligente signifie aussi une Europe plus rapide. Le Parlement européen l’a bien compris. Le nouveau Parlement est différent de celui de 2019. Nous l’avons réformé. Nous pouvons agir beaucoup plus vite aujourd’hui, et ce sans alléger nos obligations en matière de contrôle et de législation. Nous sommes prêts à mettre en marche un Europe plus intelligente. Rapidement. C’est ce qu’attendent les électeurs. C’est en ce sens que nous avons conçu le mécanisme suspensif et bien d’autres choses. C’est pour cette raison que les députés européens s’interrogent sur les tentatives d’affaiblir la participation du Parlement au traitement de questions fondamentales, souvent clivantes. L’Europe n’est rien sans ses citoyens. L’utilisation de dispositions des traités telles que l’article 122 n’est pas gage d’une Europe plus intelligente. C’est pourquoi nous continuerons à œuvrer en faveur du renforcement de l’initiative législative du Parlement au titre de l’article 225. Pas nécessairement en modifiant le traité, mais en le respectant et en traitant les citoyens avec l’estime qu’ils méritent. C’est de cette légitimité dont l’Europe a besoin aujourd’hui. C’est cette réflexion et cette coopération qui permettront de parvenir à une Europe plus forte. Une Europe robuste, capable de reconnaître qu’individuellement, nous sommes tous modestes, mais qu’ensemble, nous sommes une force sur laquelle il faut compter. Une Europe plus forte doit être en mesure d’anticiper les défis si elle veut être la mieux placée pour les relever. Dans un contexte d’accélération de la transformation numérique, et de l’intelligence artificielle en particulier, quelqu’un a comparé l’époque que nous vivons aujourd’hui à la révolution qui a eu lieu au XIXe siècle, lorsque le monde est passé d’une économie fondée sur l’agriculture à une économie fondée sur l’industrie. Nous sommes à un tournant à ce point majeur, profond et décisif. L’avenir se décide maintenant, et nous ne pouvons nous contenter de suivre le mouvement. Les milliards promis lors du sommet français sur l’IA au début de cette année suscitent de grands espoirs. Ils témoignent de notre détermination. Maintenant, nous devons nous montrer à la hauteur et donner à nos entreprises, nos chercheurs, nos ingénieurs, nos codeurs et nos titulaires de brevets les moyens d’être concurrentiels, d’innover et de devenir les numéros un. Parce qu’une Europe forte est une Europe engagée. Une Europe qui a de l’influence. Une Europe tournée vers l’extérieur, capable de saisir les opportunités et de les détecter. Cela doit signifier enfin le parachèvement de notre union de l’épargne et des investissements. Nous ne pouvons plus attendre. Les obstacles qui nous ont servi d’excuse depuis plus de dix ans pour ne pas la concrétiser jusqu’à présent sont loin d’être insurmontables. L’Europe ne peut se permettre d’être mise sur la touche. Notre philosophie économique à l’échelle mondiale a toujours été de valoriser des échanges commerciaux libres et équitables qui profitent à tous. Et la dynamique observée en Inde, au Mexique et en Amérique latine fait ressortir des éléments dont nous pouvons nous inspirer, et que nous pouvons reproduire à bien des égards. S’adapter signifie aussi être capable de ne pas se détourner des avantages tirés d’une relation nouvelle et plus étroite nouée non seulement avec les États-Unis, mais aussi avec le Canada et le Royaume-Uni. Oui, le Brexit reste le Brexit. Oui, les réalités géographiques sont ce qu’elles sont. Mais une époque exceptionnelle appelle des moments exceptionnels, et nous devons sortir de nos zones de confort traditionnelles. La mise en place d’un partenariat stratégique solide avec le Royaume-Uni profitera à tous et stimulera la coopération transatlantique. Un accord global devrait être l’objectif final des négociations avec les États-Unis; une situation qui profiterait à tous. Nous devons également garder les fondements de cette relation à l’esprit. Il n’y a pas d’alliance plus forte dans l’histoire du monde moderne qui ait façonné tant de vies et créé tant de prospérité. Nous devons continuer à la forger et à la renforcer, tout en nous préparant à tous les cas de figure. C’est la garantie non seulement d’une Europe plus forte et d’États-Unis plus forts, mais aussi d’une Europe et d’un monde plus sûrs. Sans sécurité, il n’y a rien, et nous nous sommes trop longtemps tournés vers l’extérieur pour garantir notre sécurité et notre mode de vie. Cette ère est révolue. Chaque État membre comprend désormais que si l’Europe entend contrôler son propre destin, elle doit être capable d’évoluer dans un monde plus dangereux et instable qu’auparavant. L’invasion de l’Ukraine par la Russie nous l’a horriblement rappelé. Nous devons être prêts à redoubler d’efforts en faveur de la paix et à continuer de soutenir l’Ukraine. Tel est le message véhiculé par le président Macron, le chancelier Merz, le premier ministre Tusk et le premier ministre Starmer lors de leur visite en Ukraine à l’occasion de la Journée de l’Europe. Une visite qui s’est tenue dans le sillage de l’annonce par la Commission d’un plan de 800 milliards d’euros en faveur de la préparation de l’Europe. C’est notre manière de mettre nos forces au service de la paix. Les outils sont peut-être différents, mais le concept n’est pas nouveau. S’exprimant devant le Congrès en 1985, Margaret Thatcher avait déclaré: «Les guerres ne sont pas causées par l’accumulation d’armes. Elles se produisent lorsqu’un agresseur estime qu’il peut atteindre ses objectifs à un prix acceptable... Notre tâche est de faire en sorte que les agresseurs potentiels, d’où qu’ils viennent, comprennent clairement que la capacité et la détermination de l’Occident les priveraient de leur victoire en guerre et que le prix qu’ils paieraient serait intolérable». Elle avait raison. Dépenser davantage en faveur de la défense et de la sécurité est une première étape. Mais l’argent ne résoudra pas le problème à lui seul. C’est en rapprochant nos industries de la défense que nous irons intelligemment de l’avant. Bien sûr, cela suppose de trouver des synergies entre les politiques de sécurité nationales, mais surtout de résister à l’appât des gains à court terme afin de privilégier une vision stratégique à long terme. Cette approche stratégique implique de garantir un système de protection des frontières qui gère les flux migratoires de manière juste avec ceux qui ont réellement besoin d’une protection, ferme avec ceux qui n’y ont pas droit et qui doivent être renvoyés et sévère envers les réseaux de traite des êtres humains. Le pacte européen sur la migration est une étape que nous avons franchie, mais nous devons progresser dans la législation sur les retours. Bien trop peu de décisions de retour sont exécutées. Trop de personnes qui pourraient et doivent être renvoyées ne le sont pas. Cette question ne peut être ignorée ou laissée entre les mains des extrêmes, au risque de voir l’immigration clandestine rester une cause de divisions sociétales et de nuire à la confiance dans notre capacité à résoudre cette problématique. Ensemble, nous sommes plus intelligents, nous sommes plus forts et nous sommes plus sûrs, même si non est ad astra mollis e terris via. Le voyage de la terre aux étoiles n’est pas facile. Mais la facilité n’a jamais construit l’Europe – ni rien d’autre d’ailleurs. L’occasion nous est donnée de relancer l’Europe en tant qu’acteur mondial. C’est ainsi que nous affirmons notre autonomie stratégique et que nous protégeons nos intérêts communs et nos citoyens. C’est à cette Europe que nous devons aspirer. Je vous remercie.